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ANALYSES. — APPEL. La science du langage.

logique. Le mérite d’avoir indiqué le premier les phénomènes de la génération des mots appartient à Förstemann, quoiqu’elle soit encore chez lui une doctrine incomplète. Ses idées furent développées en Allemagne par M. Andresen et en Pologne par M. Karlowicz. La génération populaire des mots consiste dans l’association de mots hétérogènes quant à leur origine. Les mots s’associent par suite d’une fausse perception de l’identité de leur forme, alors nous avons l’association (verte-aigret, vert-de-gris ; vau [val], de vire, vaudeville) ; de leur fonction ou signification, alors nous avons l’adidéation (le sens de vilain déterminé par vil), ou bien l’association déterminée par l’un et l’autre à la fois (Sauerkraut en dialecte souabe et allemand[1], sûrkrût, choucroute) : c’est l’arradication.

Quant à l’absorption morphologique, le premier qui l’observa fut M. Beaudouin de Courtenay. Son idée fut développée par M. Kruszewski, mais en même temps aussi en Allemagne et en France par MM. Osthoff et Darmsteter. M. Appel déclare du reste ne pas partager tout à fait leurs opinions. Selon lui, l’absorption morphologique consiste dans l’intégration des deux formes rapprochées, — précédente où suivante ; dans le premier cas, nous avons l’absorption progressive, dans le second l’absorption régressive.

Par opposition à l’absorption morphologique, nous avons la sécrétion morphologique, c’est-à-dire une forme dérivée et secondaire. Elle peut être sécrétion du préfixe ou du suffixe. Comme espèce particulière de sécrétion, on doit distinguer l’excrétion morphologique, quand les éléments désintégrés acquièrent une certaine indépendance. En généralisant les phénomènes précédents, on pourrait englober l’absorption et la sécrétion dans un même genre, auquel on pourrait donner le nom des déplacements des liens morphologiques de la parole.

Outre le principe d’analogie qui est toujours une espèce d’intégration psychologique, il y a encore le principe psychologique de la différenciation. C’est encore Scherer qui détermina l’importance de la différenciation aussi bien que de l’analogie. Mais tandis que cette dernière devint l’idole des savants, la différenciation ne donna lieu qu’à un seul travail de M. Angermann. Elle explique cependant des groupes de phénomènes importants :

On voit la valeur psychologique de ces phénomènes de la vie du langage : elle ne consiste pas en une vaine et futile analogie, mais en une parfaite identité. L’absorption et la sécrétion morphologique ne sont que les cas particuliers des intégrations et des désintégrations psychologiques. Ce n’est pas dans ces généralités que consiste l’importance de la psychologie pour la science du langage, mais les deux sciences rapprochées éclaircissent des phénomènes très particuliers et très concrets dans l’une et dans l’autre.

Tout le monde connaît l’importance des observations cliniques dans

  1. Dialecte allemand, dialecte parlé en Suisse allemande, Allemanisch.