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ANALYSES. — APPEL. La science du langage.

qualité de pédagogiste éminent, pouvait présenter une certaine utilité. La pédagogie considérée comme art d’enseigner, n’est que le talent et le tact dans le développement graduel de l’attention et celle-ci n’est que le dynamisme des représentations dirigées par la volonté.

L’importance du travail de M. Appel consiste en ce qu’il ne rattache pas la science du langage à la psychologie d’une école philosophique, mais aux recherches physiologiques et psychologiques positives. Ce travail devait être un abrégé de l’histoire de l’école psychologique dans la science de langage : mais l’auteur, ne sait pas toujours dominer ses prédilections, et de cette manière plusieurs parties de son ouvrage deviennent de vraies monographies, tandis que d’autres manquent de développement suffisant.

L’histoire de la science en est pourtant la partie principale. Dans la première phase de la science du langage, la préoccupation générale était la parenté de toutes les langues indo-européennes et leur origine commune. Les intégrations des formes et des sons présentent le trait caractéristique de cette phase.

Dans sa seconde phase, l’idée générale de l’identité primitive de quelques éléments des langues indo-européennes ne suffit plus, et le besoin se fait sentir de reconstruire cette langue primitive. Les premiers essais de cette reconstruction furent faits par Schleicher et par Fick, Enfin l’intégration des connaissances linguistiques a encore augmenté quand Curtius reconnut l’identité de la flexion et de la formation des mots. À la même phase du développement de la science du langage appartiennent encore MM. Ludwig et Bergaigne qui ont exprimé des idées analogues dans des travaux originaux. Curtius, d’un côté, représente le point culminant de la phase intégrante ; mais, de l’autre, c’est encore lui qui commence sa désintégration, Il a décomposé la langue indo-européenne, considérée jusqu’à lui, au point de vue de son unité primitive, en couches différentes de formation successive. Ce côté de ses travaux est d’autant plus important qu’il est accompagné d’une réaction contre les aperçus généraux de Schleicher sur la langue et sur la science du langage. L’œuvre commencée par Curtius fut continuée par Scherer. Aux données de Schleicher, conséquences de ses fausses idées sur la langue, celui-ci oppose de nouveaux principes scientifiques fondés sur l’idée de la langue comme produit des fonctions psychophysiologiques de l’organisme humain et de la civilisation.

C’est avec Scherer que commence la troisième phase de la science du langage, et il peut être considéré comme le représentant des dernières tendances psychologiques. Il est vrai que les mêmes idées, en même temps que par Scherer, furent énoncées par M. Beaudouin de Courtenay[1] ;

  1. M. Beaudouin de Courtenay, descendant de réfugiés français établis en Pologne, professeur des langues sémitiques à l’université de Kazan, a institué, pour la science du langage, ces enquêtes que M. Herbert Spencer a entreprises Pour la sociologie. Slave de naissance, professeur de langues sémitiques chez une population finnoise, il doit disposer d’un matériel linguistique qu’aucun autre savant ne peut avoir à sa disposition. — N. J. D. de T.