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avec celle d’εἴδωλον. On l’a placée dans le sang (chez les Hébreux), dans les artères ; le pouls, chez les Siamois, est le va-et-vient de l’esprit angélique ; les Caraïbes admettent autant d’âmes qu’ils entendent battre d’artères. Les Dacotahs (Amériq. septentr.) placent le courage dans le foie. Pour les habitants de l’archipel des Amis, l’âme est comparée au parfum des fleurs. Chez les Slaves, les Cassoubes, les Australiens, les âmes s’envolent comme une troupe d’oiseaux, s’arrêtant sur la cime des arbres ou sur quelque promontoire, avant de s’élancer vers le ciel, Les Tahitiens placent le souvenir dans les viscères où les mouvements de l’âme ont un si profond retentissement[1]. À Cassange, en Afrique, les vivants se croient entourés des ombres des morts, idée qui souriait si peu à Wieland dans son Euthanasia, où la question de la non-persistance de ce qu’on appelle âme, après la mort (persistance avec conscience du passé, entendons-nous bien) nous semble établie avec tant de bon sens. Les Indiens de la Californie croient que le cœur est immortel et s’échappe pendant qu’on brûle le corps. Pour les Esquimaux, l’âme, la nuit, erre çà et là, allant à la chasse ou à la danse. Les magiciens siamois savent le moyen de la faire sortir du corps. Les Groënlandais, en allant en voyage, laissent parfois la leur à la maison. D’après les Hurons, l’homme a deux âmes, dont l’une entre dans une tourterelle, puis dans le royaume de la mort, tandis que l’autre reste dans la tombe jusqu’à ce qu’elle puisse prendre un autre corps. Aux îles Fidji, il y en a deux aussi ; l’esprit sombre va en enfer ; l’autre, qui ressemble à l’objet réfléchi sur la surface de l’eau ou par un miroir, reste dans le voisinage du corps. Chez les Birmans, la vie de l’homme est dans la leipya (papillon) ; elle sort de sa bouche au moment de la mort. La frayeur causée par la rencontre d’un mauvais démon fait fuir la leipya et amène la maladie. Qui ne reconnaît dans cette gracieuse image du papillon et la Psyché grecque et l’angelica farfalla de Dante ? Selon le Sankhya de Kapila, il y a plusieurs âmes ; selon le Védanta, il n’y en a qu’une. D’après cette dernière philosophie, dans le sommeil elle retourne à l’âme du monde, dont les âmes individuelles sont des parties, et chaque âme individuelle est enfermée dans un triple corps ou gaine. Ces trois gaines forment ensemble le corps subtil, à peu près ce que Wieland appelle, dans le livre déjà mentionné, le corps éthéré. Chez les Patagons, les esprits des défunts sont de mauvaise nature ; ils leur attribuent tous les maux. Les Polynésiens croyaient qu’il survivait quelque chose qu’ils nommaient varoua (esprit, âme ou vie). Ailleurs (p. 24), « l’âme prend possession, non dans le corps de la mère, mais aussitôt après la naissance, du corps qui, d’après son rang, lui est assigné par les messagers d’Erlick. »

Nous touchons là à deux questions qui ont été l’objet de bien des

  1. Celse savait déjà que le travail de la pensée entrave celui de l’estomac et Hippocrate nommait le souci, le souci rongeur, comme nous disons : un aiguillon dans les viscères.