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ANALYSES. — A. BASTIAN. Der Völkergedanke.

miler tout cela pour faire son Homme dans l’histoire. « Et, pendant que je m’en occupais, parurent le premier volume de Waitz, où le besoin du temps était si bien compris, et le plan d’une Revue pour la psychologie des peuples dont il me fut donné d’entendre les idées de la bouche même de Lazarus, sous les attrayantes images dont se revêtaient ses observations si pleines de finesse, » Mais il restait une lacune dans ses études : il ne connaissait pas le bouddhisme, répandu sur une si vaste étendue de notre globe. Pour la combler, il fit un nouveau voyage de 1860-65.

C’est le troisième volume (288 pages), Contributions pour une psychologie comparée (L’âme et ses manières d’apparaître dans l’ethnographie), qui rentre plus encore que les autres dans le cadre d’une Revue philosophique ; si nous disons plus encore, c’est parce que tous les philosophes allemands, à commencer par Kant (qui décidément ne plaît pas à M. Bastian), se sont occupés d’anthropologie et ainsi plus ou moins d’ethnologie ; c’est même un professeur de philosophie, Waitz, — nous l’avons déjà nommé plus haut, — qui a donné le meilleur ouvrage d’anthropologie que l’on possède actuellement.

Le livre de M. Bastian est divisé en trois parties principales : Le concept (Auffassung) de l’élément psychique ; Les ancêtres et les mânes ; La pathologie des possédés et les prêtres-médecins, le tout suivi de considérations finales.

M. Bastian nous fait assister assez bien à l’évolution qui amène l’homme à l’idée d’âme et introduit dans les conceptions humaines un inconnu (Dieu où âme ; c’est tout un pour nous, dieu n’étant que l’âme du monde}, qui va, dès lors, le tyranniser,

Pour lui, nous sommes entourés de merveilles que nous ne pouvons expliquer. Nous personnifions les êtres inanimés et animés, la pierre, la plante, l’arbre, l’animal ou ce qui, par le mouvement, semble se rapprocher de la vie, comme le feu et l’eau. Ce que les peuples primitifs croient d’abord le mieux connaître, c’est l’homme ; mais, à la mort, ils se trouvent de nouveau devant l’inconnu. Aussi tous les peuples ont-ils cru que quelque chose sortait du corps à ce moment. Ce n’est pas seulement dans la Wetteravie et dans le Bugey qu’on ouvre la fenêtre pour que l’âme puisse sortir. En Alsace aussi, nous avons vu cet usage se pratiquer autrefois. Les Chippeways font un trou dans le cercueil et en attachent à peine le couvercle. Chez tel peuple, on brise la tête du mort avec des noix de coco, pour procurer une issue à l’âme, Dans le Mahabharata, Drona, mortellement blessé, fait monter toute son haleine du cœur à la tête, qui éclate pour laisser sortir l’âme comme un rayon de soleil.

L’idée la plus répandue la fait consister dans le souffle, spiritus ou anima, qu’on rapproche quelquefois de ἄνεμος.[1] Puis vient l’idée d’ombre

  1. Voir sur ce point la Revue philosophique, décembre 1881, p. 654 et 658.