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Que nous sommes loin de l’époque, où les pays qu’arrosent l’Indus et le Gange étaient à peine connus, où l’on se doutait à peine de l’existence du sanscrit et de sa riche littérature ; de celle, plus récente encore, où une autorité que l’on croyait fort compétente disait que derrière la Gange c’était la barbarie ! Quel démenti ta découverte des magnifiques ruines khmers est venue infliger à cette assertion ! Pourtant aussi, du propre aveu de M. Bastian, même sans franchir des mers lointaines, tout près de nous, que de points obscurs ! Qu’on lise, si on le peut, sans perdre haleine, les pages ix et x de la préface, sur les Lutizes et sur les Wilzes, et sur les Wendes, et sur les Ligurcs et sur les Osques, que de non liquet, comme dit l’auteur.

Pour résoudre tant de problèmes divers, que l’on se mette à l’œuvre sans idées préconçues, systématiques ; qu’on se borne à la simple observation des faits, qu’on suive uniquement le procédé inductif des sciences naturelles ; qu’on applique celui-ci jusqu’à la psychologie, qui, elle aussi, doit être une science expérimentale.

La brochure intitulée Vorgeschichte der Ethnologie n’a que 132 pages. Le titre en indique suffisamment le contenu. C’est un excellent résumé de l’historique de l’ethnologie depuis son origine jusqu’à nos jours. L’appendice, à partir de la page 122, est surtout consacré aux transformations successives du Musée ethnologique de Berlin depuis le prince électeur Joachim Il (1571) jusqu’à l’heure actuelle, où s’élève l’édifice destiné à en recevoir les trésors, disséminés un peu partout, comme chez nous. On sait que M. Bastian en est l’administrateur.

Si, ne fût-ce qu’en feuilletant le livre, on tombe sur les pages 98 à 119, on est étonné d’y lire une longue énumération, mise en note et pour la majeure partie en français, où figurent la langue de saint François de Sales à Avignon, non loin de la mâchoire de sainte Solange ou d’une dent de saint Pierre (nous cueillons au hasard). Comment cela se rattache-t-il à l’ethnologie ? Eh ! mon Dieu ! c’est là aussi un musée, le musée des reliques catholiques dont on trouverait aisément les similaires chez plus d’un peuple primitif. Réellement, M. Bastian n’a pas tort de dire que ce sera là aussi une sorte de curieux musée pathologique de l’esprit humain.

Ce qui nous à surtout vivement intéressé dans cette seconde brochure, c’est la part qu’a prise M. Bastian lui-même aux évolutions de l’ethnologie (p. 34 et suiv.) et dont if peut dire lui aussi : et quorum pars magna fui. Il raconte, non pas ses voyages (nous comptons bien les lire un jour), mais comment, après des absences de quelques années seulement, il rentrait, comme le jeune homme de Schiller, tout dépaysé et presque étranger, Fremd kehrt er heim ins Vaterhaus, tant la science avait marché pendant ce temps.

Ainsi de 1850-57, pendant son premier voyage, avaient paru des livres qui ont fait époque, tels que le Kreislauf des Lebens de Moleschott, certains travaux de Vogt, Force et matière de Büchner. Il eut à s’assi-