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SECRÉTAN. — le principe de la morale

soit sans doute une question de degré, de forme et d’emploi ; nulle théorie ne peut s’affranchir de l’opposition entre la raison et les sens.

D’autre part, nulle analyse n’isolera leurs apports respectifs d’une façon complète et définitive. La chimie intellectuelle est en avant de l’autre, au moins dans les négations. Si la simplicité de nos corps simples est très suspecte, il est certain qu’on n’a pas trouvé l’idée simple, et qu’on ne la découvrira jamais, la pensée et la sensation n’étant que synthèses. La pensée ne se résout pas plus en sensation que la sensation en pensée. Entre les dogmes inintelligibles du matérialisme et les transparentes mystifications des idéalistes, la seule théorie applicable marche sur le chemin de Locke et de Kant. La pensée y reconnaît, sans l’expliquer, la causalité transitive et l’action d’un dehors sur le dedans ; mais-elle ne s’ingénie point à s’anéantir. Le moi ne s’acharne pas chez elle à nier le moi ; l’esprit s’avoue lui-même, il reconnaît sa propre activité, et dans la formation de la connaissance, il attribue à cette activité spontanée une part difficile à mesurer. Nous le répétons, cette délimitation ne sera jamais achevée, parce qu’en philosophie on ne finit rien ; mais enfin le départ revient toujours en gros à rapporter au moi la forme nécessaire, au non-moi le contenu variable. Locke avait déjà compris cela, comme plusieurs avant lui. Kant a précisé davantage, en faisant voir que si la pensée est une activité, cette activité ne se conçoit que suivant des lois, que ces lois enfin déterminent la forme de nos pensées, de sorte que l’élément a priori n’est absent en aucune d’elles. Kant a esquissé le tableau des lois a priori de la pensée, qu’il distribue en plusieurs classes, sous des noms divers. On a remanié ce tableau de mille façons, mais le trait essentiel est resté. À la prendre dans sa plus grande généralité, cette théorie de la connaissance s’introduit, semble-t-il, à peu près partout. L’idéalisme, qui n’a plus affaire en Allemagne, émigre à Naples et soutient l’honneur du drapeau, mais l’idéalisme ne s’achève pas et ne s’explique pas. Le sensationisme ne subsiste qu’au prix de concessions fort importantes. Grâce à la doctrine de l’évolution, il peut maintenir le principe que tout vient originairement du dehors, que tout est adventice, accidentel dans la conscience, sans se refuser plus longtemps à l’évidence accablante qui nous montre des réactions spontanées, des affirmations, des conclusions nécessaires dans les opérations intellectuelles de l’individu. Cette théorie renferme à notre sens une grande part de vérité. Nous reconnaitrons avec empressement que nos jugements nécessaires n’ont pas toujours semblé tels, pourvu que M. Spencer nous accorde à son tour, suivant ses principes, que l’évolution devait infailliblement en faire apparaitre un jour la nécessité. Que trouvons-nous au fond