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ANALYSES ET COMPTES RENDUS


Ludwig Noiré. Das Werkzeug und seine Bedeutung für die Entwickelung der Menschheit. Mainz. 1880.

La Revue a donné dans son numéro de mai 1878, l’analyse d’un remarquable ouvrage de M. Noiré sur l’origine du langage. Le livre dont nous nous occupons aujourd’hui peut être considéré comme une sorte de complément de ce premier travail. L’outil relève en effet des mêmes facultés intellectuelles que la parole. Lorsque la raison commença à se dégager pour ainsi dire du monde des phénomènes et à s’y opposer, c’est-à-dire quand elle forma ses premiers concepts, elle créa nécessairement les premiers mots. M. Noiré pense avec raison qu’elle dut créer aussi l’outil. Et l’outil de son côté réagit sur la raison, précisa la pensée et contribua puissamment à enrichir le langage lui-même. Une étude du langage appelait donc une étude de l’outil. Une théorie de l’origine de la raison, car tel est l’objet véritable de M. Noiré, ne pouvait être complète sans embrasser à la fois l’origine de la parole et celle de l’outil.

Nous ferons d’ailleurs mieux saisir le lien étroit qui unit les deux études, en rappelant brièvement les idées fondamentales de « l’Origine du langage ». M. Noiré est d’avis que c’est en agissant sur le monde extérieur que l’homme a commencé à penser. Les effets produits sur le monde par l’activité commune de la horde furent les premiers phénomènes qui s’objectivèrent pour la conscience et furent conçus par la pensée. Ce furent eux qui donnèrent la première impulsion à cette faculté d’abstraction et de généralisation qui est l’exercice même de la pensée active. L’homme primitif ne pensait donc qu’autant qu’il modifiait par son travail le monde extérieur. Penser et agir furent à l’origine deux termes inséparables. Or, quand l’homme pensa, il parla.

Les données les plus récentes de la philologie prêtent leur appui à cette manière devoir. Les plus anciennes racines ont désigné les effets de l’activité humaine s’exerçant sur le monde. Les premiers concepts exprimés paraissent avoir été ceux du « creusé », du « gratté », du « frappé » etc. Il est démontré que l’homme nomma d’abord les objets d’après les modifications qu’il leur faisait subir et de là vient que des choses fort différentes ont pu être désignées par le même mot ; il suffisait pour cela a qu’elles fussent l’objet d’un travail analogue. Ainsi l’arbre et l’animal ont