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tiendront Dieu et la liberté humaine, la responsabilité de l’homme envers Dieu, comme objets de leur libre croyance.

Ceux qui voudront aller plus loin pourront aisément tirer de ceci les traits généraux d’une métaphysique ; seulement ils n’auront garde d’oublier que la conséquence ne saurait atteindre une certitude supérieure à celle du principe dont elle dérive.

S’il est évident à l’esprit que la pensée vaut plus que la matière ; s’il est sensible au cœur que la perfection morale surpasse l’excellence intellectuelle ; on s’expliquera naturellement cet ordre en considérant : d’abord que toute intelligence est réfléchie et que la réflexion suppose une projection première ; puis que la matière ne se révèle qu’aux sens et n’est conçue que par la raison ; de sorte qu’évidemment l’être consiste dans la volonté, et que la matière procède de la pensée. Mais pour surmonter les difficultés que rencontre l’admission d’une vue aussi simple, il faut comprendre que la pensée qui donne l’être à la matière n’est pas notre pensée individuelle, puisque la matière nous est donnée et que nous croyons tous la percevoir de même ; il faut pareillement se souvenir que la volonté antérieure à la réflexion dont elle forme l’objet ne saurait être la volonté consciente et dirigée par la réflexion ; mais que la volonté cultivée par la conscience est l’accomplissement de l’être et sa manifestation suprême, précisément parce que l’insaisissable volonté source de la pensée consciente forme la racine de l’être et la substance même.

Revenons à notre point ; ces brèves indications suffisent amplement, car il ne s’agissait que de marquer la direction de notre pensée et non d’exposer un système. Nous voulons, comme on le voit, aller de la morale à la religion et même à la métaphysique ; mais nous ne fonderons la morale ni sur la métaphysique, ni sur la religion. Quand nous disons que l’art de se conduire ici-bas suppose une conception du monde, nous l’entendons plutôt dans un sens voisin du positivisme, nous voulons parler d’une conception dont les traits essentiels soient empruntés à l’expérience. Le spiritualisme, pour lequel nous venons d’exprimer nos préférences, ne conduit pas nécessairement à l’idéalisme subjectif dans la théorie de la connaissance, et ne nous enchaine point aux méthodes a priori. Le besoin d’unité dans la pensée donne incontestablement l’être à toute philosophie ; mais pour que je produit ait quelque valeur, il ne faut jamais oublier que l’unité cherchée est celle du multiple dont il s’agit de rendre raison. Nous le disons de l’objet de la connaissance ; nous le disons également de la connaissance elle-même. Quoique l’esprit affirme invinciblement sa propre unité ; quoique la différence des sens et de la raison