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n’existait dans la nature que les forces étudiées par la physique. Mais si l’on pousse l’analyse jusqu’aux forces chimiques, c’est-à-dire à celles qui sont les sources principales de production de la chaleur, on reconnaît immédiatement le défaut dans l’énumération des phénomènes prétendus positifs et prétendus négatifs.

Du moment où l’on sépare des autres les mouvements thermiques, les mouvements dits moléculaires doivent correspondre à tous les autres phénomènes naturels, électriques, chimiques etc. Or on considère comme positifs les phénomènes de désagrégation de molécules, ce qui est nécessaire, puisqu’ils correspondent à une consommation de travail, et l’on se représente l’état final vers lequel marche l’entropie comme caractérisé par une dissociation générale de la matière, un mélange gazeux et à une température uniforme de tous les atomes chimiques de l’univers.

Aller plus loin, et rêver la dissociation de ces atomes chimiques eux-mêmes, serait sortir des bornes de l’expérience, sur laquelle on s’appuie. Mais qui ne voit que plus ces atomes chimiques seront ainsi isolés, plus ils seront susceptibles entre eux de réactions capables de produire de la chaleur ? Or ceci est contre l’hypothèse, puisque l’énergie calorique est supposée à son maximum.

Ainsi la façon dont on se représente l’état final de l’entropie conduit à une conséquence absurde. Cet état doit être caractérisé par la dissociation maxima de la matière au point de vue physique, mais en même temps par sa condensation maxima au point de vue chimique, c’est-à-dire par la saturation la plus grande possible des affinités.

Il résulte de cette conclusion inéluctable que la classification faite par Clausius des phénomènes comme positifs ou négatifs est radicalement fausse. Par suite, tout son raisonnement s’écroule de lui-même.

Mais, pourra-t-on dire, s’il n’y a pas entropie vers cet état défini que nous avons examiné, n’y en a-t-il point vers une autre limite idéale et indéfiniment reculée ? Les deux autres réponses à l’éternelle question sur les destinées de l’univers, la stabilité indéfinie de l’ordre de choses actuel, la succession indéfinie de périodes d’organisation et de désorganisation, ne sont autre chose, elles aussi, que des hypothèses indémontrées et peut-être indémontrables. Pourquoi à ces deux solutions de la sagesse antique refuser d’en adjoindre une troisième dont, l’esprit moderne puisse se glorifier ? Un processus éternel du passé vers l’avenir, dans lequel chaque pas en avant serait définitivement acquis, un but devant nos yeux, vers lequel nous marchons, si loin qu’il soit, un point de départ derrière nous, dont