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SECRÉTAN. — le principe de la morale

tration, il ne saurait être question que de croyance, et d’un choix à faire.

L’idée de Dieu n’est pas de sa nature incompatible avec la science. Ce que la science exige, c’est qu’un ordre immuable règne dans la sphère de l’expérience : on peut concevoir cet ordre établi par un décret divin. Mais si cet ordre était un ordre de justice, s’il y avait une fin des choses, et si cette fin était la réalisation du bien moral, elle impliquerait la réalité de l’ordre moral, elle impliquerait la liberté de l’agent moral, elle exclurait donc la possibilité de tout prévoir, et dans ce sens elle modifierait l’idéal du savant et poserait une borne à son ambition. Il faut choisir. La considération qui dictera notre choix sera manifestement, il faut le répéter, l’importance relative que nous attribuons à la connaissance ou à la pratique. Ceux qui n’accordent de valeur réelle qu’à l’intelligence et qui, partisans ou non de la finalité, tiennent au fond que l’histoire est faite pour l’historien, et l’étoile pour l’astronome, se prononceront en faveur d’un déterminisme au sein duquel la question même de Dieu s’évanouit comme pratiquement indifférente et spéculativement vide, puisque la nécessité universelle exclurait toute distinction réelle entre l’auteur et son ouvrage. Ceux qui pensent au contraire, avec Pascal, que « la distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité », ceux aussi qui, plus terre à terre et pourtant plus présompteux dans leur précision arithmétique, jugent seulement, avec M. Arnold, que la conduite fait les trois quarts de la vie, tandis que l’art et la science se partagent le quart restant, ces gens-là sont aussi disposés à croire avec Kant que la considération de l’ordre moral nous conduit plus loin dans la vérité des choses que l’intérêt spéculatif. Ils affirment donc la liberté dans le monde, et, jaloux de la conséquence, ils la statueront à son origine. Moins ambitieux que ce grand philosophe, ils ne chercheront pas la conciliation des deux tendances dans une liberté intemporelle de l’individu qui exclut en lui la possibilité de toute réforme et qui rejetterait l’ordre moral dans la transcendance. Plus libres d’esprit que l’illustre janséniste, ils ne diront pas que la justice de Dieu se moque de notre justice. Plus conséquents que le critique d’Oxford, ils ne ridiculiseront pas l’idée de la personnalité divine après avoir présenté l’ordre de justice comme devant être l’objet suprême de nos affections et reconnu que pour prendre en nous vie et couleur, cet ordre doit revêtir les traits d’une personne. Avant d’avoir réfuté toutes les objections, sans se flatter peut-être que toutes les difficultés soient jamais levées, ils renonceront bravement à l’espoir d’une méthode certaine pour prophétiser l’histoire à venir, et main-