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la philosophie proprement dite que par l’emploi de quelques termes destinés à y jouer plus tard un grand rôle, mais qui, à cette époque de la pensée humaine, sont bien loin de désigner les concepts des âges postérieurs. Mais il est un point de doctrine du Milésien — la succession indéfinie des mondes — qui présente un tout autre caractère. Il y a là un problème d’ordre essentiellement philosophique, qui reçoit du premier coup une réponse complète, précise, et que les siècles suivants ne mûriront pas davantage, D’autres solutions seront mises en avant et attireront à elles les croyances de l’humanité. Mais on dirait que la question est destinée à rester éternellement ouverte, car les immenses progrès que réalisera la science ne la feront point avancer d’un pas ; ils permettront tout au plus de mieux se rendre compte des difficultés du problème.

Essayons de retracer à grands traits son origine et son histoire ; nous en apprécierons davantage la haute portée du dogme, qui suffit à assurer à Anaximandre une gloire immortelle et un des premiers rangs parmi les penseurs de tous les âges.

Chez les peuplades qui ont atteint un degré suffisant de civilisation, la question de l’origine du monde se pose, et cela naturellement, sous une forme théologique. Partout les mythes sont d’accord sur un point ; on y suppose un certain état initial, différent de l’actuel et au delà duquel on ne remonte pas. À partir de cet état, le monde s’organise ou est organisé par des puissances nées elles-mêmes ou préexistantes. Il est inutile de nous arrêter à ces distinctions.

On ne peut nier que cette question de l’origine du monde n’offre qu’un petit intérêt purement spéculatif ; l’important pour nous serait bien plutôt de savoir si le monde finira. Mais, pratiquement, l’humanité s’est toujours comportée comme si elle était assurée de l’éternité, et l’essor de la spéculation primitive a été déterminé vers le passé et non vers l’avenir, par la formation des mythes religieux.

Cependant la question d’une fin possible a pu se poser pour quelques penseurs, et la réponse naïve, dictée aussitôt par la conception anthropomorphique des dieux et du monde, a été que tout ce qui avait commencé devait finir. L’exemple des Scandinaves semble prouver que pour admettre un pareil dogme, une religion n’avait pas besoin d’une longue évolution.

Mais la même nécessité subjective entraînait à conclure ensuite à un nouveau commencement comme à une nouvelle fin, et à multiplier dans les deux sens, avant et après, les mondes successifs, Les Hindous poussèrent au plus loin cette doctrine ; mais la date des dernières conséquences n’est pas plus assurée que celle de la