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P. TANNERY. — anaximandre de milet

Anaximandre devait être dynamiste comme tendance d’esprit, mais son mode de représentation est mécaniste.

Est-il d’ailleurs possible da dire avec Zeller que la matière primitive du Milésien n’était pas, pour lui, une substance qualitativement déterminée ? Comment ce concept abstrait d’une matière sans qualités aurait-il pu se loger dans l’esprit d’un physicien à l’imagination aussi vive et aussi nette ? D’après l’exposé de sa doctrine, il semble qu’il ne peut y avoir aucun doute à cet égard ; Anaximandre devait se figurer son mélange général d’une certaine façon, et ce ne pouvait être que sous l’état d’un fluide aériforme chargé de vapeur d’eau ; sous ce rapport, Anaximène ne fit, au fond, que conserver sa doctrine, et l’on doit rejeter la donnée péripatéticienne (De Melisso, 975, b) d’après laquelle la forme primitive de l’univers aurait été l’eau pour le fils de Praxiade, comme pour Thalès. Cette donnée ne peut s’appliquer qu’à l’origine immédiate de la terre[1].

Il est d’ailleurs probable que le style métaphorique du Milésien laissait la pensée ambiguë et flottante entre les divers états de la matière, et c’est ainsi qu’on peut expliquer les divers renseignements contradictoires que nous fournit l’antiquité ; mais il est difficile de croire qu’il ait affecté, comme le prétend Simplicius, de ne pas définir la forme primordiale autrement que comme ἄπειρον. Aristote, notre seul garant authentique, ne nous dit rien de semblable lorsqu’il nous apprend l’emploi de ce terme par Anaximandre. Il nous dit formellement au contraire (De Cœlo, III, 5) que ceux qui supposent un seul élément y voient soit l’eau, soit l’air, soit le feu, soit un intermédiaire plus subtil que l’eau, plus dense que l’air, et il entend sans doute Anaximandre comme représentant cette dernière hypothèse, ainsi que l’a soutenu Alexandre d’Aphrodisias.


VII

Les doctrines sur l’origine du monde.

Je crois avoir rempli la partie de la tâche que je m’étais proposée, en essayant de montrer que, si intéressante que soit la physique d’Anaximandre pour l’histoire de la science, elle ne touche à celle de

  1. Ed. Zeller admet néanmoins la forme liquide pour la masse sphérique qui se serait constituée, d’après lui, au sein de la matière infinie, et d’où serait sorti le monde d’Anaximandre. Cette hypothèse est insoutenable, si l’on réfléchit aux dimensions très restreintes, dans la cosmographie du Milésien, de la terre et de la mer par rapport à la masse d’air qui les enveloppe jusqu’aux confins du ciel.