Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/512

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
508
revue philosophique

et ne finira pas ; tout est soumis, avec eux, à paraître et à disparaitre alternativement et sans cesse, tout, sauf le mouvement de révolution de l’ensemble qui gouverne et embrasse les choses, immortel et impérissable, éternel et toujours jeune[1].

Comme il était inévitable dans ce premier essor de la spéculation, le système grandiose d’Anaximandre faisait sa place à la théologie populaire. Les Cieux périssables, nés du divin Infini et de l’incessante Révolution, sont dieux tout comme l’Οὐρανὸς d’Hésiode ; dieux aussi probablement ces anneaux célestes, qui nous apparaissent comme astres et qui participent au plus haut degré à ce mouvement qui est la vie du monde[2].

Si le Milésien, ce que nous ignorons, parlait des autres divinités, il ne leur refusait sans doute que l’immortalité, hérésie facilement conciliable avec les croyances vulgaires.


IV

Détails cosmographiques.

Tel est le système dans ses grandes lignes ; si, au point de vue positif, il n’en subsiste guère aujourd’hui que deux postulats de la science : — rien ne naît de rien, — la durée du jour sidéral est invariable[3], — on ne peut nier ni la hardiesse des conceptions, ni l’accord avec l’ensemble des connaissances expérimentales de l’époque. Mais, si nous cherchons à compléter quelques détails, nous allons voir la fantaisie s’y donner une libre carrière.

La terre est plate et entourée d’eau ; on ne peut dès lors lui attribuer la forme rigoureuse d’un cylindre (Eusèbe, Præp. ev., I, 8), car une arête circulaire vive est inadmissible dans le liquide. Il est très douteux qu’Anaximandre ait conçu le paradoxe d’un disque plat antipode : il devait donc regarder toute la partie inférieure comme liquide (ce qui se rapprochait davantage de la croyance de Thalès), et par suite lui attribuer les formes arrondies d’une immense goutte

  1. Aristote, Phys., III, 4. — Hippolyte, Refut. I, 6.
  2. Stobée, Eclog. phys., I, 2. — Plutarque, De plac. phil. I, 1.
  3. Que cette proposition soit un postulatum, certainement d’accord avec l’observation, mais dont l’absolue vérité ne peut être rigoureusement démontrée, c’est ce qui résulte de ce fait qu’elle a été contestée par des astronomes. Cette contestation ne peut établir qu’une chose, c’est qu’il faut en tout cas un postulatum pour établir la mesure du temps.