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P. TANNERY. — anaximandre de milet

connaissances géométriques élémentaires, le gnomon suffit d’ailleurs pour déterminer l’obliquité de l’écliptique et la hauteur du pôle pour l’endroit où il est établi ; il servit donc plus tard à prouver la sphéricité de la terre.

Cet instrument était certainement connu des Grecs d’Ionie avant Anaximandre ; c’était évidemment le principal moyen d’observation astronomique pour Thalès. D’autre part, une tradition assez constante attribue à Phérécyde de Syros la construction du gnomon de Délos. Enfin Hérodote déclare formellement que le gnomon, le πόλος, et la division du jour en douze parties ont été empruntés par les Grecs aux Babyloniens.

Le πόλος, essentiellement différent du gnomon, était une horloge solaire. Mais ce cadran primitif ne ressemblait en rien aux nôtres. C’était une demi-sphère concave ayant pour centre l’extrémité d’un style ; chaque jour, l’ombre de cette extrémité décrivait un arc de cercle parallèle à l’équateur, et il était facile de compléter ces parallèles et de les diviser en douze ou vingt-quatre parties égales. La construction de pareils cadrans peut présenter quelques difficultés pratiques ; mais elle ne suppose, pas plus que leur invention, aucune théorie mathématique, et il suffisait, pour les imaginer, d’avoir une idée nette du mouvement diurne apparent du soleil[1].

On possède de ces cadrans sphériques[2], qui furent les seuls connus pendant longtemps, car le premier cadran plan ne fut inventé que par Aristarque de Samos (IIIe siècle av. J.-C.). Mais ils offrent, comme au reste toutes les horloges solaires des anciens que l’on connaît, une particularité qui les distingue des nôtres et qui paraît une modification apportée par les Grecs à l’instrument babylonien. Ce n’est point le parallèle entier, mais l’arc diurne parcouru par l’ombre qui se trouve divisé en parties égales. Les heures ont donc une durée essentiellement variable ; chacune d’elles est la douzième partie du temps que le soleil passe chaque jour au-dessus de l’horizon, et non pas la vingt-quatrième partie de l’intervalle entre deux passages successifs au méridien.

La graduation de semblables appareils ne pouvait, à cette époque, être qu’empirique, et elle réclamait les observations d’une année entière. Est-ce sous cette forme, ou sous la forme babylonienne, plus simple, mais moins appropriée aux mœurs grecques, qu’il faut nous représenter les horloges que connaissait Anaximandre et dont il s’occupa, suivant la tradition conservée par Suidas ? Nous n’en

  1. G. Rayet, Les cadrans solaires coniques. dans les Annales de chimie et de physique, 1875.
  2. Il en existe deux au musée du Louvre.