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II

Du rôle d’Anaximandre comme savant.

Sauf Aristote, tous les auteurs qui nous citent Anaximandre ne connaissent sans doute que de seconde main des fragments de son écrit. Mais il se trouvait encore entre les mains d’Apollodore d’Athènes, historien du second siècle avant Jésus-Christ, qui le date de la soixante-quatrième année du Milésien, correspondant à 547 avant notre ère[1]. C’est vers la même époque que mourait Thalès, né près de trente ans avant Anaximandre. Rien ne fut donc plus naturel que de supposer entre les deux concitoyens, qui se connurent sans doute, les relations de maître à disciple ; mais cette invention des âges postérieurs en transportait les mœurs dans un siècle auquel elles étaient étrangères. Si les Ioniens reflètent naturellement les connaissances scientifiques de leur époque, si l’on est, par suite, autorisé à attribuer à l’un d’eux celles que possédait déjà son précurseur, ils n’en apparaissent pas moins, en tant que penseurs, comme indépendants et isolés, et s’ils ont eu des disciples, ce ne fut que par leurs écrits, après leur mort, sur le sol de la Grèce, et au siècle des sophistes.

L’ouvrage d’Anaximandre serait, en tout cas, non pas l’aventureux essai d’un jeune homme, mais le couronnement d’une carrière sur laquelle nous ne savons que très peu de chose. Elien (iiie siècle ap. J.-C.) nous raconte seulement qu’il conduisit une colonie à Apollonie de Thrace, et Favorinus (iie siècle ap. J.-C.) qu’il établit un gnomon à Lacédémone. La première donnée n’est nullement garantie contre la possibilité d’une confusion sur un nom qui se perpétua à Milet et pouvait y être déjà ancien ; la seconde est contredite par un écrivain antérieur, Pline, qui attribue formellement à Anaximène la construction du gnomon de Lacédémone.

Il n’est pas inutile d’entrer à ce sujet dans quelques détails sur la gnomonique ancienne. L’instrument qui a donné son nom à cette branche de la science était tout simplement une tige verticale, dressée sur un plan horizontal. L’observation de l’ombre minima de cette tige sur ce plan permettait de déterminer les points cardinaux, le midi vrai, et l’époque des solstices, dont celui d’été servait, chez les Grecs, à déterminer le commencement de l’année. Avec des

  1. Diog., II, 2. — Ce n’est nullement l’année de la mort d’Anaximandre, comme le dit Zeller (La philosophie des Grecs, trad. Boutroux, I, p. 214, l. 10). Apollodore, qui l’ignore, suppose seulement qu’elle arriva peu après.