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P. TANNERY. — anaximandre de milet

Ioniens comme un Platon ou un Aristote, et donner pour centre à chacun de leurs systèmes reconstruits une idée-mère philosophique. On ne s’apercevait point que, pour procéder de la sorte, il était nécessaire d’attribuer aux physiologues des concepts qu’ils ne pouvaient aucunement posséder, puisque ce sont précisément leurs tentatives qui en ont occasionné l’élaboration postérieure.

Si les systèmes ioniens ont vraiment un centre, si les fragments que nous en connaissons peuvent être réellement coordonnés autour d’une idée mère, celle-ci ne peut avoir d’autre caractère que celui que nous avons indiqué, d’hypothèse scientifique, vraie ou fausse, ou plutôt contenant, avec sa petite part de vérité, un vaste lot d’erreurs. Et s’il se trouve que les physiologues ont soulevé directement des problèmes véritablement philosophiques, c’est que ces problèmes forment l’horizon nécessaire de la science, qu’ils sont à la limite indécise de l’inconnaissable.

L’ordre d’idées dont nous venons d’essayer de donner un bref aperçu, a été suivi avec pleine conscience par Gustave Teichmüller dans ses Études sur l’histoire des concepts, et notre but principal est d’exposer ici, en particulier, les travaux qu’il a consacrés à Anaximandre de Milet[1]. Sa méthode et les nouvelles voies qu’il ouvre nous paraissent propres à amener de profondes modifications dans les conceptions ordinaires sur le développement de la pensée humaine en général, et spécialement de la pensée hellène. Nous ne pouvons aujourd’hui nous proposer que d’en donner un seul exemple ; sur le sujet que nous avons choisi, la profonde érudition de l’historien philosophe et son étonnante sagacité lui ont d’ailleurs permis d’obtenir des résultats dont l’exposé suffirait seul à provoquer l’intérêt de nos lecteurs. Cependant, pour compléter la monographie d’Anaximandre et de ses opinions, nous ferons précéder cet exposé de quelques observations préalables sur la personnalité du Milésien ; nous essayerons ensuite d’apporter une nouvelle pierre à la restitution de son système, et nous consacrerons une discussion spéciale à l’histoire et à la critique de sa doctrine sur la succession indéfinie des mondes.

  1. Studien zur Geschichte der Begriffe. Berlin, Weidmann, 1875,pp. 1-70, 547- 558. — Neue Studien zur Geschichte der Begriffe, II Helt, Gotha, Perthes. 1878, pp. 273-279.