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ANAXIMANDRE DE MILET


I

Sur les physiologues.

Lorsque le nom de philosophe n’était pas encore prodigué, les premiers penseurs qui frayèrent la voie aux chefs d’école du ive siècle avant Jésus-Christ, étaient, comme on le sait, appelés οἱ φυσιολόγοι, ceux qui ont « écrit sur la nature ». Ce terme indique assez le caractère de leur œuvre : ils s’efforçaient d’exposer, nullement ce que nous appelons aujourd’hui un système de philosophie, mais bien un ensemble de conceptions de l’univers et d’explications des phénomènes les plus frappants. Ils faisaient donc de la science comme on en pouvait faire à cette époque, c’est-à-dire qu’en réalité ils émettaient des hypothèses scientifiques.

Si erronées, si insoutenables que puissent nous paraître aujourd’hui ces hypothèses, fatalement destinées à s’évanouir plus ou moins vite devant les progrès de l’expérience, elles n’en ont pas moins joué le même rôle fécond que celles des temps plus modernes, que celles qui se débattent encore de nos jours. Elles ont provoqué à l’étude des faits qui devaient les appuyer ou les ébranler ; elles ont ainsi servi à la préparation du terrain scientifique indispensable à la naissance, au développement et à la lutte des doctrines philosophiques proprement dites.

Cette lutte s’est d’ailleurs engagée sur les concepts représentés par un certain nombre de termes employés dans les « écrits sur la Nature », et dont le sens ambigu réclamait un éclaircissement nécessaire pour la construction logique de nouvelles hypothèses. C’est à ce titre que l’œuvre des « physiologues » présente un intérêt réel dans l’histoire de la philosophie.

Et pourtant la plupart de ceux qui se sont attachés à cette histoire ont méconnu le caractère véritable de cette œuvre ; ils ont prétendu, dès cette étape de la pensée humaine, traiter les premiers