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guère par aucune grande théorie un peu neuve qui lui soit particulière, comme le font, par exemple, le positivisme de Comte, l’évolutionnisme de Spencer et d’autres philosophies bien connues. Que le matérialisme antique eût contenu en germe les théories modernes enveloppées dans une foule d’erreurs scientifiques inévitables, cela se peut admettre ; mais on ne voit pas bien pourquoi les différents systèmes ne se seraient pas différenciés en se séparant chacun à leur tour des doctrines différentes et pourquoi le matérialisme engloberait aujourd’hui toutes les branches de l’empirisme. Il y a là au surplus une question de mot et une question de fait.

La question de mot est en somme assez peu importante. Qu’un système s’appelle matérialisme, positivisme, évolutionnisme, ce n’est une raison ni de l’accepter ni de le rejeter, et chacun de ces mots peut en somme être légitimement employé.

La question de fait est celle-ci : Est-il vrai que le matérialisme soit au fond de tous les systèmes empiriques et qu’il soit la vraie forme, la forme logique, à laquelle il faille ramener la philosophie expérimentale ? Autrement dit, tous les systèmes empiriques ont-ils cela de commun qu’ils ne s’occupent en réalité et quoi qu’ils pensent, que de la matière et de ses propriétés. Cette question est plus importante, et il y aurait beaucoup à dire.

Ecartons d’abord le positivisme, qui reconnaît lui-même qu’à ce point de vue il est une philosophie matérialiste. L’évolutionnisme de Spencer, l’idéalisme de Mill ne se peuvent évidemment réduire en fait au matérialisme, l’un parce qu’il nie la matière, l’autre parce qu’il fait de la matière et de l’esprit les manifestations d’une substance inconnue et inconnaissable. Le panthéisme de Léon Dumont est à peu près semblable à l’évolutionnisme de M. Spencer ; la philosophie de M. Taine se rapprocherait plutôt du matérialisme. On a pu l’appeler avec quelque raison un matérialisme retourné ; toutefois les ouvrages de M. Taine ont quelques passages obscurs et difficiles à interpréter. — Chacun de ces philosophes a donc le droit en somme de repousser pour son système le nom de matérialisme, chaque système différent devant avoir un nom particulier.

On peut encore poser la question d’une autre manière. Parmi les différents systèmes empiriques, en est-il un qui soit tout à fait acceptable, et, s’il n’en est point, ne faudrait-il pas, pour les rendre acceptables, les ramener au matérialisme ? Ne sont-ils pas bons en tant qu’ils se rapprochent du matérialisme et mauvais en tant qu’ils s’en éloignent ? C’est bien de cette façon que les matérialistes, je crois, entendent le problème ; mais ils ne l’ont pas formulé toujours assez nettement, et surtout ils ne l’ont pas résolu. Leurs discussions des