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F. PAULHAN. — la renaissance du matérialisme

et n’est pas toujours scientifique, ce qui peut, je crois, se soutenir, il est injuste d’en rejeter la faute sur le matérialisme. J’admets que jamais, jusqu’ici, le matérialisme n’ait réussi à être la vraie philosophie ; on ne peut en conclure qu’il n’y réussira jamais. M. Wyrouboff lui-même se déclare prêt à suivre les matérialistes actuels dans leur système, quand la science se sera prononcée en leur faveur, admettant ainsi que la théorie de l’application des mathématiques à tous les phénomènes, car c’est de cela qu’il est question pour lui, peut triompher. Il n’y a jamais à désespérer d’ailleurs d’une doctrine qui déclare ne se fonder que sur la science. Le matérialisme, tel que le présente M. Lefèvre, ne paraît avoir rien d’immuable, sinon quelques principes généraux qu’il partage avec le positivisme comme presque avec toutes les formes de l’empirisme. C’est là ce qui fait la force du matérialisme ; mais c’est là ce qui fait en quelque sorte sa faiblesse, ou plutôt son peu d’importance en tant que philosophie distincte. Le matérialisme n’a presque aucune thèse qui ne lui soit commune avec les autres systèmes empiriques ; il est donc très difficile d’en faire un système à part et de le critiquer. Il est facile de se rendre compte d’ailleurs du peu de travail philosophique qu’a fait la nouvelle école matérialiste. Les ouvrages composés par ses membres traitent de sciences particulières où examinent différents points de psychologie, d’anthropologie, de linguistique, etc. Quand ils s’occupent de science générale, de philosophie, ils empruntent presque tout aux philosophes d’autres écoles. Les ouvrages philosophiques de M. Lefèvre sont une curieuse démonstration de ce fait. La philosophie comprend deux parties et se compose de 606 pages ; sur ces 606 pages, la première partie, l’histoire des philosophies, en occupe 444 ; la seconde, par conséquent, 162. Cette seconde partie, destinée à exposer le système matérialiste, se compose presque entièrement d’emprunts faits aux sciences concrètes ou aux philosophes anglais. La renaissance du matérialisme est un volume de 491 pages consacrées presque toutes à l’histoire ou à la critique des doctrines.

M. Lefèvre objectera, à la vérité, que ces théories, qu’il emprunte aux divers philosophes des écoles expérimentales, ont été empruntées en grande partie par eux aux anciens matérialistes qui les avaient inventées les premiers, et que ces philosophes n’ont fait que les développer, et qu’ils sont eux-mêmes matérialistes sans le savoir, en tant que leurs idées sont acceptables, qu’ils ont raisonné ou observé comme des matérialistes, et que c’est à tort qu’ils repoussent ce nom. Sans discuter le bien fondé de cette objection, on peut conclure au moins que la nouvelle école matérialiste ne se distingue