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aspects, dans trois états. Ainsi la raison nous donne le devoir, non dans son abstraction, mais dans sa pureté. La raison nous impose le devoir de chercher notre devoir. « Cherchez votre devoir, pour l’accomplir, » il n’y a pas d’autre principe de morale purement a priori. Telle sera notre première formule. Sous une forme plus simple, c’est le principe des stoïciens : « Agis conformément à ta nature », car la nature de l’homme, c’est la raison, c’est le devoir. « Deviens ce que tu es (dans ta nature essentielle), réalise ton idée, » sont d’autres traductions de la même pensée. Toutes reviennent au fond à donner une forme impérative au principe logique de l’identité. « Je suis ce que je suis » est toute la logique. « Sois ce que tu es, » c’est tout le devoir. Nous constatons ici l’identité foncière de la raison dans la science et dans la pratique. Nous avons déjà vu s’achever la logique dans la morale : c’est la volonté qui dirige la recherche et qui l’arrête ; chacun est responsable de ses jugements, et le consentement général résultant du sincère effort de chacun reste l’indice de la vérité. Pareillement, nous voyons la morale s’enraciner dans la logique. Le premier précepte moral est : « Soyons logiques, soyons conséquents à nous-mêmes, faisons-nous ce que nous sommes. »

Mais ce que nous sommes est un problème, l’unique problème ; d’où suit le second commandement : « Connais-toi toi-même, c’est-à-dire : Travaille à te connaître. » La primauté de la raison pratique, supériorité de la vertu sur la science, de la volonté sur l’entendement se démontrent d’elles-mêmes à celui qui se demande : Qu’est-ce que je suis ? En effet, par sa question même, il constate que l’intelligence est un retour de la volonté sur la volonté. La supériorité de la vertu sur la science est définie en sa juste borne pour celui qui se demande : Que dois-je faire ? Il constate par sa question même que l’étude est un devoir, et la science, une vertu nécessaire à toutes les autres.

Kant et Fichte ne l’entendaient pas autrement, « Quand je connaîtrais tous les mystères et que je posséderais toute la science, je ne suis rien sans la charité, » dit l’apôtre Paul. Modulant ce cri sublime sur un rythme digne de lui, un géomètre français en a fait la plus magnifique des symphonies. Kant et Fichte la déchiffrent avec quelque lenteur : ils ont compris que le devoir est le fond du moi, la raison d’être de la pensée, tandis que l’individu n’est que le sujet du devoir et ne s’explique que par le devoir.

Mais l’objet du devoir est problématique, il faut le chercher. C’est ce que nous apprend l’autre précepte stoïcien : « Suis la nature, » la nature des choses, la nature universelle. Dirige-toi suivant ses lois quand tu les connaîtras, et par conséquent efforce-toi de les décou-