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F. PAULHAN. — la renaissance du matérialisme

arguments qui nous autorisent à penser le contraire, et nous nous en servirions contre lui. En l’état, nous nous contentons de ne pas croire implicitement à leur existence réelle et de ne pas y penser.

Pourquoi le positivisme veut-il se tenir dans une stricte neutralité entre les deux thèses ? La cause en est, à mon avis, dans le peu d’importance qu’il attache, en général, à l’analyse psychologique des idées. Le problème de l’absolu, et tous les problèmes de la métaphysique sont démontrés par l’analyse idéologique être non seulement insolubles, mais être des problèmes mal posés, c’est-à-dire des problèmes dont il n’y a pas lieu de chercher la solution, à l’égard desquels on doit repousser par conséquent toute solution affirmative. Essence, substance, cause, origine, etc., sont des termes mal compris quand on les applique aux questions métaphysiques, et l’on tombe dans des contradictions sans fin, si c’est ainsi qu’on les emploie. Que faut-il en conclure ? Non pas que l’on n’a rien à dire sur les idées métaphysiques que l’on s’en est faites, mais que ces idées sont fausses. Quand on peut joindre à l’analyse idéologique une analyse historique montrant comment l’idée métaphysique a pu se former, et c’est ce que l’on a fait, par exemple, pour l’idée d’une âme distincte du corps, la démonstration est bien plus complète encore.

Mais, dira-t-on, soutenir cette thèse, c’est ériger notre esprit en règle des choses, c’est croire que le monde se moule sur nos idées et non que nos idées se forment d’après le monde. Il faut savoir d’abord de quel monde il s’agit. Or il s’agit évidemment ici d’un monde métaphysique, et il est injuste de prétendre que nos idées doivent se conformer à ce monde puisque ce monde, ne s’est jamais montré à nous ; il est d’autre part injuste de dire que nous voulons que ce monde se conforme à nos idées, puisque notre croyance est que ce monde n’existe pas et que cette croyance nous la fondons précisément sur les lois de l’esprit telles que l’expérience du monde réel les a faites, sur l’analyse d’un fait réel, l’intelligence de l’homme. Admettre l’indécision de l’esprit entre les deux thèses c’est au contraire accorder une plus grande valeur à des opinions subjectives puisque c’est leur donner le pouvoir de contrebalancer les résultats de l’analyse et de l’observation des phénomènes psychiques. Quand nous reprochons aux métaphysiciens d’ériger leurs idées en lois de la nature, nous entendons par là qu’ils s’imaginent que le monde de l’expérience, le monde réel, le monde que nous pouvons ou que nous pourrons atteindre doit se conformer aux lois subjectives de l’esprit, et nous leur reprochons de ne pas tenir compte de faits qui sont en contradiction avec leurs idées. Le cas est, comme on le voit, bien différent. Si cependant on veut aller jusqu’à dire que