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première, croyait que l’argument des causes finales donnait une faible probabilité à l’hypothèse de son existence ; mais les positivistes ne font par cette distinction, et nous pouvons la négliger, non parce qu’elle n’est pas réelle, mais parce que je ne me propose pas de discuter ici les arguments qui établissent l’existence de Dieu, mais seulement de rechercher quel est l’état intellectuel de croyance qu’on doit avoir en cette question, étant admis que, comme les positivistes le croient, il n’y a pas de raison de croire en Dieu, et plus généralement aux choses de la métaphysique, à la substance et même à la vie future,

En prenant un fait moins important que l’existence de Dieu, nous nous rendrons peut-être mieux compte de l’état mental que nous devons avoir. On expliqua pendant longtemps certains phénomènes physiques en disant que la nature a horreur du vide. Cette explication métaphysique est tout à fait abandonnée aujourd’hui et remplacée par une explication positive. Cependant on pourrait dire que la science ne nie ni n’affirme que la nature ait horreur du vide, elle se borne à constater les lois physiques des phénomènes ; quant à la nature personnifiée, elle l’ignore, ne la rencontrant jamais. Y-a-t-il là une raison de ne se prononcer ni pour ni contre l’existence de cette horreur du vide attribuée à la nature et de rester dans le doute ?

Je ne le crois pas. Quand l’existence d’une chose n’est ni démontrée ni nécessaire ou utile pour quelque explication, ni rendue probable par la considération de quelques phénomènes, nous disons tout simplement que nous ne croyons pas à cette chose, que nous rejetons son existence. Dans notre esprit, ce rejet n’équivaut pas à un doute, il équivaut à une négation. Nous ne restons pas neutre entre les deux thèses : l’eau monte dans un tube dont on a enlevé l’air parce que la nature a horreur du vide, et l’eau monte parce que l’air extérieur la presse. Nous choisissons la dernière, la première tombe d’elle-même, et, si nous ne nous donnons pas la peine de la nier, ce n’est pas que nous croyons à sa possibilité, c’est que nous ne supposons pas qu’on la soutienne.

Il en est de même pour Dieu. Si personne n’affirmait son existence, nous n’aurions pas à nous occuper des raisons qui la rendent improbable et qui nous la font rejeter. De même encore pour la vie future. Mais, si la négation de Dieu tombe, c’est à condition que l’affirmation tombe aussi ; tant que l’affirmation sera debout, la négation devra être également soutenue. Personne ne s’avise de discuter aujourd’hui l’existence des Centaures ; mais, si quelqu’un voulait nous donner cette existence comme réelle, nous reprendrions les