Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/497

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
493
F. PAULHAN. — la renaissance du matérialisme

contre la position que nous avons prise, tout cela sans s’apercevoir qu’il y avait là autre chose qu’une question de mots. »

Voilà l’opinion des positivistes ; exposons maintenant celle que donne M. Lefèvre, et nous discuterons ensuite le fond de la question.

La thèse que M. Lefèvre expose au nom du matérialisme et de l’athéisme, un positiviste peut presque l’accepter. Sur ce point comme sur bien d’autres, M. Lefèvre paraît être dans un état de transition.

« L’athéisme n’est ni une doctrine ni un système ; c’est une réponse à une question que la curiosité a posée et que la science résout. C’est proprement une ordonnance de non-lieu. S’il parle quelquefois en son nom propre, c’est que, impliquant l’expérience scientifique, il en devient le synonyme. À ce titre, il est permis au langage d’en faire le préliminaire de la saine méthode, le point de départ de la science, la base de la liberté, de la justice, de la rénovation sociale et politique. Le droit, la loi, légalité sont forcément athées. Par l’athéisme, l’homme rentre en possession de lui-même et de la terre. L’athéisme ouvre et domine l’avenir. Lorsque la dernière des entités sera tombée en poussière, lorsque la science aura partout supplanté la foi, l’athéisme ne sera plus qu’un mot vide de sens, comme le déisme lui-même. Jusqu’à ces temps, prochains peut-être, il demeure la phase préparatoire, de l’évolution future. Aspirons au jour où il aura fait son œuvre présente et où il rentrera dans l’histoire. »

Nous irons plus loin que M. Lefèvre. Il s’agit de l’existence de Dieu. Les positivistes prétendent ne l’affirmer ni le nier, et, quoi qu’on en ait dit, cela est parfaitement possible. Reste à savoir si cela est légitime. Remarquons d’abord que, au point de vue pratique l’absence de négation et d’affirmation ne se confond point avec la négation. L’absence de négation et d’affirmation laisse place au doute. La philosophie positive interdit, il est vrai, à ses adeptes de se faire une foi personnelle sur l’existence ou le non-existence de Dieu ; peut-elle aussi leur interdire d’agir, dans le doute où ils sont, comme s’ils croyaient ? S’il n’y a pas plus de raison de nier l’existence de Dieu que d’y croire, pourquoi n’agirait-on pas, à tout risque, comme si Dieu existait. Je sais bien que les philosophes positivistes demanderont qu’on ne s’occupe pas du tout de Dieu ; mais cela pourra-t-il se faire s’ils ne sortent pas de leur doute et si l’on ne montre pas que la non-existence de Dieu est de beaucoup l’hypothèse la plus probable.

Il faut distinguer le Dieu des causes premières et le Dieu des causes finales. Stuart Mill, qui n’admettait pas Dieu comme cause