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ception du monde bien plus complète que les quelques chapitres de M. Lefèvre sur la philosophie ; mais, comme le dit M. Littré, ces lois et ces sciences en elles-mêmes ne sont point la philosophie positive, elles en sont les matériaux et ne lui appartiennent point en propre. Toute autre philosophie a le droit de se les approprier, en les arrangeant d’une autre manière. Les résultats de la science appartiennent à toute philosophie expérimentale et en forment la base ; c’est la spéculation sur ces résultats qui peut différencier les divers systèmes.


IV

Prenons la question par un autre côté, et, après avoir vu les critiques des positivistes aux matérialistes, voyons celles que les matérialistes adressent aux positivistes, et ce qu’il fait penser des « réticences » de l’école de Comte. On connaît quelles sont ces réserves elles portent sur la cause première, Dieu, l’essence des choses, l’absolu, etc. Nous avons à nous enquérir de la portée de ces réserves et à rechercher si elles sont justifiables.

Les positivistes font profession de n’avoir aucune opinion sur Dieu et la cause première des phénomènes. Ils n’affirment pas et ne nient pas l’existence de Dieu. « Il ne faut pas, dit M. Littré[1] considérer le philosophe positif comme si, traitant uniquement des causes secondes, il laissait libre de penser ce qu’on veut des causes premières. Non, il ne laisse là-dessus aucune liberté ; sa détermination est précise, catégorique et le sépare radicalement des philosophies théologique et métaphysique il déclare les causes premières inconnues. Les déclarer inconnues, ce n’est ni les affirmer ni les nier… Remarquons-le bien néanmoins, l’absence d’affirmation et l’absence de négation sont indivisibles, et l’on ne peut arbitrairement répudier l’absence d’affirmation pour s’attacher à l’absence de négation. »

M. Wyrouboff, à propos du livre de M. Lefèvre, revient sur la même question. « Simple également est notre réponse, dit-il, à une question d’un autre ordre qui a beaucoup passionné les esprits et que M. Lefèvre aborde incidemment je veux parler de la question de l’affirmation ou de la négation de l’existence d’une cause première. Le positivisme, comme on le sait, s’abstient. On a beaucoup ergoté là dessus on l’a accusé de faiblesse, d’inconséquence ; on a dit qu’il était logiquement impossible de trouver une place raisonnable entre un oui et un non ; on a épuisé toutes les ressources de la dialectique

  1. Littré, Auguste Comte et Stuart Mill.