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F. PAULHAN. — la renaissance du matérialisme

le matérialisme admet à peu près la base du positivisme ; comme lui, il a la prétention de se fonder uniquement et sans parti pris sur les résultats des sciences. M. Lefèvre fait bon marché des théories du plein et du vide, des atomes insécables et de la divisibilité infinie de la matière, et se déclare prêt à accepter tous les résultats des sciences, en repoussant, comme le font les positivistes, toute conception théologique, toute hypothèse invérifiable, « La science positive ne connaît dans le monde à elle accessible que de la matière et des propriétés de la matière, et par conséquent à ce point de vue toute philosophie positive sera matérialiste… » Je crois que M. Littré a dit vrai et que la philosophie positive est matérialiste.

Il est vrai que les positivistes font aux matérialistes une autre objection et en tirent une nouvelle définition du matérialisme : c’est que le matérialisme explique « certains phénomènes s’accomplissant d’après des lois particulières, à l’aide de celles qui servent à relier entre eux des phénomènes d’un ordre plus général, ce qui est une sorte d’importation, dans une science plus complexe, des idées appartenant à une science moins compliquée. » M. Lefèvre ne détruit pas cette objection, mais elle ne porte pas contre le matérialisme fuyant de la nouvelle école. C’est pour lui une question non de principe, mais de fait. La science permet-elle de donner de telles explications ? Les uns pensent que oui, les autres que non ; mais positivistes et matérialistes pensent que la science doit décider, et ni le positivisme ni le matérialisme n’ont rien à redouter d’une réponse définitive de la science.

À ce compte-là, peut-on dire, toutes les philosophies reposent sur une même base, puisque toutes admettent volontiers l’expérience, et que les spiritualistes eux-même donnent comme faits d’observation la substantialité du moi, la volonté libre, etc. En effet, je serais disposé à reconnaître qu’il y a quelque chose de commun dans tous les systèmes, mais il y a plus ou moins de choses communes entre eux : entre le positivisme et le matérialisme il y a beaucoup plus de points communs qu’entre le matérialisme et le spiritualisme, qu’entre le spiritualisme et le positivisme, et certainement la méthode générale du matérialisme se retrouve dans le positivisme.

Il faut bien reconnaître aussi que le positivisme, avec sa hiérarchie fortement constituée de six sciences abstraites, sa distinction des sciences abstraites et des sciences concrètes, et les autres théories qui lui sont propres, est capable d’offrir une conception du monde qui, si elle n’est pas plus exacte que celle du matérialisme, est au moins bien plus précise et bien plus complète. Il est évident que l’ensemble de lois générales données par les sciences abstraites donne une con-