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les sciences particulières peuvent être appelées à vérifier chacune dans leur domaine. Il y a là un office de la philosophie, qui, exercé avec mesure doit avoir son utilité, la théorie de l’évolution par exemple a exercé sur les recherches biologiques et sociologiques une grande influence, que l’on reconnaît généralement avoir été bonne, quelque opinion que l’on professe sur le bien fondé de cette théorie.

Ainsi, pour ce qui concerne la science générale et la méthode scientifique, je serais plutôt avec les matérialistes qu’avec les positivistes, si l’on considère la question à un point de vue abstrait, Néanmoins je ne puis m’empêcher de trouver assez juste, dans ce cas particulier, la critique adressée à M. Lefèvre par M. Wyrouboff : « Il y a deux choses différentes qu’il faut distinguer soigneusement et que le matérialisme a toujours confondues : les généralités sur la science et la science générale. L’analogie existe en effet dans les formes ; elle n’existe pas dans le fond. » M. Wyrouboff exagère cependant, et voici ce qui explique à la fois son reproche et justifie M. Lefèvre. Le matérialisme admet en effet, dans les sciences particulières, tout ce que la positivisme admet ; seulement il y ajoute d’autres choses. Ce sont ces conceptions étrangères au positivisme que M. Lefèvre a surtout exposées dans son livre, ce qui est assez naturel. M. Lefèvre, d’ailleurs, il faut bien le reconnaître, ne donne pas toutes les théories qu’il présente comme absolument certaines. À vrai dire, je ne sais si le matérialisme tient beaucoup à la plupart thèses qu’il soutient, il est d’une manière générale bien moins dogmatique que le positivisme, sauf sur quelques points qui, pour la plupart, sont des négations autant que des affirmations, la négation de Dieu, de la cause première, etc., etc. Nous aurons à le comparer encore à ce sujet avec le positivisme. Mais, sauf ces quelques points, le matérialisme est en général moins arrêté de contours, ses opinions sont moins caractérisées, il laisse à l’esprit plus de liberté et ne l’astreint guère à des croyances bien définies. Le matérialisme n’admet pas la loi des trois états et n’essaie de la remplacer par aucune formule bien nette ; il n’admet pas la classification des sciences telle qu’elle a été constituée par A. Comte et ne cherche pas à en inspirer une autre. M. Lefèvre en a proposé une, il est vrai, mais il n’a pas l’air d’y tenir beaucoup, et, si l’on y réfléchit bien, au lieu de dire que les philosophies positiviste et matérialiste sont deux espèces d’un même genre, il est peut-être plus juste de dire : que le matérialisme est un genre dont le positivisme est une espèce. « Avant d’être positiviste, dit avec raison M. Lefèvre, c’est la condition sine qua non, on est matérialiste ; et pourquoi ? Parce que le matérialisme est une méthode qui englobe et commande votre système. » Et, en effet,