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F. PAULHAN. — la renaissance du matérialisme

classification systématique et l’exposition des principes les plus généraux que renferme chaque science[1]. »

Il s’agit donc de comparer entre elles les diverses sciences pour les classer et de spéculer sur les lois générales de chaque ordre. Je demande avec quelle méthode scientifique particulière on pourra faire cela, et si l’on ne se sert pas uniquement de procédés logiques ou scientifiques généraux pour comparer les diverses sciences, en former la hiérarchie et même délimiter exactement le domaine de chacune d’elles, pour faire en un mot la philosophie, c’est-à-dire pour systématiser les données des sciences particulières. La philosophie est pour les positivistes, comme pour M. Spencer, une science générale ; elle est aux sciences particulières ce que la science particulière est aux faits ; elle ne peut donc emprunter à aucune science particulière sa méthode ; elle groupe et interprète leurs résultats par sa méthode à elle, qui est une méthode générale, qui est non pas la méthode d’une science, mais la méthode scientifique.

Précisons par un exemple. Quand M. Spencer, spéculant sur les données des sciences et arrivant à une formule générale qui peut s’appliquer à la fois, d’après lui, au monde inorganique, au monde organique, au monde social, dont elle exprime le développement, il n’a recours, pour trouver sa loi, à aucune méthode scientifique particulière, son raisonnement ne relève que de la logique générale. Il est vrai que les philosophes positivistes n’admettent pas la théorie de M. Spencer ; ils acceptent au moins la classification des sciences d’Auguste Comte, qui n’est obtenue certes ni à l’aide du raisonnement mathématique, ni par la balance, ni même uniquement par l’observation historique, mais par une spéculation logique sur la nature de chaque science et par la comparaison des sciences particulières.

Supposons six hommes possédant chacun une des six sciences abstraites, ou bien un homme les possédant toutes les six, et s’en tenant là, ne tirant aucune conclusion générale de l’ensemble des sciences, ne les comparant pas entre elles, ces six hommes réunis feront-ils un philosophe ? le dernier sera-t-il un philosophe à lui tout seul ? Évidemment non. Il y a donc un travail général à faire sur les résultats des sciences particulières et par suite une méthode générale applicable à la systématisation de ces résultats.

Enfin, la philosophie a peut-être un autre rôle, que les positivistes n’acceptent pas pour elle et que les matérialistes peuvent lui faire jouer trop souvent : c’est celui de faire des hypothèses générales, que

  1. Littré, De la philosophie positive.