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vous aimez mieux, méthode expérimentale, employé dans ce sens général, est une abstraction sans aucune signification précise, à peu près comme les expressions humanité, genre, espèce ; que ce qui est réel, directement applicable, ce sont les méthodes expérimentales de la physique, de la chimie, etc., c’est-à-dire les différents procédés qui nous permettent d’étudier les divers départements de la nature, méthode essentiellement variable d’une science à l’autre[1]. »

On peut répondre à cette critique : Si différentes que soient les méthodes des diverses sciences, elles ont cependant certains caractères communs ; ce sont ces caractères communs qui constituent ce qu’on peut appeler du nom général de méthode scientifique. Et une telle méthode, n’admettant que des procédés rigoureux, n’est ni si vague ni si vaine que le croit M. Wyrouboff ; elle ne serait pas, quoi qu’il en dise, acceptée par les spiritualistes, ou ne serait acceptée que par ceux d’entre eux qui l’appliqueraient mal. Nous pensons dire de la méthode scientifique prise au sens général ce que M. Wyrouboffdit de la méthode positiviste : « on peut, avec elle, arriver à la vérité. »

Mais M. Wyrouboff a une raison particulière pour rejeter une méthode scientifique générale applicable à la philosophie : c’est que d’après lui, d’après les positivistes, la philosophie se compose des six sciences abstraites ayant chacune leur méthode propre. La philosophie, ne faisant qu’enregistrer les résultats apportés : par les sciences, n’a besoin d’aucune méthode particulière ; « le rôle de la philosophie n’est pas d’inventer, de devancer le savoir, mais de le résumer. » — « Qu’est-ce donc que la philosophie expérimentale ? … c’est la « conception » ou, si l’on aime mieux, la « science » de l’univers. Or les sciences abstraites classent les connaissances et résument les divers ordres de phénomènes… donc ce sont elles qui constituent la science générale, c’est-à-dire la philosophie. » Mais il me semble ici que M. Wyrouboff se trompe et que, s’il est logique avec sa théorie des méthodes scientifiques distinctes et de la vanité d’une méthode générale, il ne peut constituer de philosophie, pas même la philosophie positive.

« La philosophie, a dit M. Littré, est dans l’ensemble des sciences qui donnent la connaissance de l’ensemble des choses. Mais, à ce point, ce ne sont encore là, à vrai dire, que des matériaux ; et, pour que la construction s’achève, il faut un double travail, savoir, une

  1. La philosophie positive, janvier-février 1879.