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SECRÉTAN. — le principe de la morale

prend son plaisir où il le trouve » : cet indicatif serait le dernier mot de l’endémonisme empirique, s’il voulait rester conséquent. Le principe de la morale n’est pas découvert.

IV

Le devoir dans le rationalisme.

Tournons-nous donc vers l’école rationaliste, qui subsiste encore, après tout. L’humilité triomphe dans la science au moment où l’opinion semble en faire un vice dans la conduite. Ceux qui se donnent pour n’être point tiennent incontestablement le haut du pavé ; mais on ne sait pas jusqu’à quand : leur titre est encore discuté. Ils ont beau s’identifier avec la science, sans écouter les réclamations des savants ; ils ne seront pas la philosophie avant d’avoir expliqué le savoir lui-même. Il n’est pas encore prouvé qu’on soit incompétent parce qu’on a la naïveté de s’imaginer qu’on existe, et qu’on répète avec Descartes : Je pense, donc je suis.

Que nous apprend la raison sur le devoir ? — S’il s’agit réellement de la raison, de la raison libre de toute autorité traditionnelle et de tout emprunt à la science expérimentale, de la raison telle qu’elle se manifeste partout où l’homme arrive à s’interroger sur lui-même ; ce que la raison nous apprend d’une manière immédiate, incontestable, universelle, c’est qu’il existe un devoir, pas autre chose. La raison n’est qu’un mode, une fonction, un costume de la volonté. La première et dernière manifestation de la raison, son énergie essentielle, c’est la volonté de savoir.

J’ignore, j’interroge, il faut chercher : voilà ce que la raison nous donne d’abord. Une expérience contemporaine de l’éveil de la raison, peut-être même antérieure, nous montre la nécessité d’agir, de nous déployer au dehors. À cette nécessité extérieure, dont l’expérience nous instruit, répond l’intime besoin d’agir, antécédent obligé de toute connaissance. Volonté d’agir : tel est l’être pris en soi ; le sentiment de l’existence forme la première réflexion de cette activité sur elle-même. La conscience, le fier je suis n’est que la réflexion de cette réflexion. Comment faut-il agir ? La question se pose avec la conscience même de l’activité nécessaire : c’est le problème du devoir.

Moi, raison, devoir, ces mots si souvent opposés dans nos discours ne désignent pourtant que la même réalité, considérée sous trois