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F. PAULHAN. — la renaissance du matérialisme

les tendances de cette nouvelle école matérialiste, en insistant sur les points qui la séparent des écoles voisines, le positivisme, la philosophie anglaise, et examiner de quel côté se trouvent les bonnes raisons, en m’appuyant surtout sur le dernier volume de M. A. Lefèvre, qui est l’un des membres les plus distingués et les plus autorisés de la nouvelle école.


II

Tout d’abord, il faut féliciter hautement les fondateurs de la nouvelle collection, qui paraît chez M. Doin, de n’avoir pas reculé devant le titre de Bibliothèque matérialiste. J’avoue que cela devrait paraître tout naturel, et j’ai même quelque peine à comprendre qu’il n’en soit pas ainsi. Cependant il paraît que le mot de matérialiste a longtemps eu quelque chose de malsonnant et de peu convenable. On accuse encore les philosophes de le craindre et de l’éviter par faiblesse. « Dans les questions philosophiques aussi bien que dans les questions politiques et sociales, le mezzo termine est à l’ordre du jour… cet esprit d’atermoiement et de tergiversation à largement pénétré dans le domaine de la philosophie et de la science. C’est à lui que l’on doit le phénoménisme, le déterminisme, le monisme, le positivisme, tous ces ismes honteux sous lesquels se déguisent les timidités de la pensée[1]. » Il est regrettable que quelques philosophes donnent, par certaines pages de leurs écrits, quelque vraisemblance à ces reproches ; on aimerait à retrancher, par exemple, de la préface de la Morale évolutionniste de M. Spencer, cette phrase malheureuse appliquée au philosophe qui ne croit pas fondée l’explication spiritualiste des phénomènes : « On le rangera parmi les matérialistes, bien qu’il repousse ce nom avec indignation. » Toutefois les matérialistes pourraient bien aussi reconnaître la sincérité de beaucoup de leurs demi-adversaires ; leur doctrine, comme nous le verrons, n’est pas tellement claire qu’on ne puisse se croire en dehors d’elle quand on la professe, et les autres termes cités par M. Gendre me paraissent parfaitement acceptables et indiquent de plus certaines nuances de doctrine dont on ne peut guère nier l’existence et dont le matérialisme n’a pas démontré la fausseté. J’avoue que, pour mon compte, je n’ai aucune répugnance pour le mot de matérialiste et que je ne demande pas mieux que de prendre cette qualification si elle est juste. Mais qu’est-ce au juste que le matérialisme ? C’est ce

  1. Revue internationale des sciences biologiques, octobre 1881. Article sur la Renaissance du matérialisme, par M. B. Gendre.