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M. André Lefèvre annonce ainsi dans son dernier livre, dont nous avons emprunté le titre pour le mettre en tête de cet article, la réapparition ou, comme il le dit, la renaissance du matérialisme. Forcé de reculer au commencement de ce siècle devant la réaction métaphysique contre les doctrines du siècle dernier, le matérialisme reste longtemps oublié ou dédaigné et méprisé. Les éclectiques, les ultramontains, les néo-catholiques orthodoxes ou indépendants, les utopistes Saint-Simon et Fourier, essaient de prendre la direction des esprits. Auguste Comte ramène la philosophie à la méthode expérimentale, mais il repousse le matérialisme, et ses disciples font comme lui. Enfin, sous le second Empire, les doctrines darwiniennes et le matérialisme allemand pénètrent en France, et une partie de la jeunesse républicaine, acceptant les idées étrangères, qui parfois n’étaient que d’anciennes idées de la philosophie française du xviiie siècle modifiées et consolidées par l’expérience, les dépassant quelquefois, en les transformant, adopte et cherche à propager les doctrines du matérialisme. Louis Asseline et Albert Regnard fondent une Revue encyclopédique, dont le second numéro fut intercepté par la police. Avec l’appui d’Auguste Coudereau, un nouveau recueil, La Libre Pensée, apparaît en 1866. Il dure dix-neuf semaines. Le 19 mai 1867, La Pensée nouvelle vient remplacer La Libre Pensée. À la tête du nouveau journal se trouvaient Coudereau, Louis Asseline, André Lefèvre et le docteur Letourneau. Parmi les collaborateurs figurèrent Büchner, Bertillon, Thulié, Pouchet, Mortillet, Mme Clémence Royer, Assézat, Yves Guyot, Issaurat, Jules Soury. La Pensée nouvelle dura deux ans, discutant avec ardeur toutes les opinions philosophiques, depuis le positivisme jusqu’au catholicisme en passant par le panthéisme et le rationalisme. Elle fut abandonnée ensuite pour l’Encyclopédie générale, où l’on comptait « développer avec ampleur et dans son vrai milieu une doctrine qui veut être la conclusion des sciences ». L’Encyclopédie générale, à son tour, dut être abandonnée, La guerre imprima au matérialisme un mouvement de recul ; mais aujourd’hui de nouveau, comme le dit M. Lefèvre dans les paroles que j’ai citées de cet article, le matérialisme reprend son rôle et occupe une place de plus en plus importante dans les régions philosophiques. Depuis quelque temps en effet, les publications partant de l’école matérialiste se succèdent rapidement. La Revue internationale des sciences biologiques, fondée par M. de Lanessan en 1878, la Bibliothèque des sciences contemporaines, la Bibliothèque matérialiste, fondée en 1880, les ouvrages de MM. Letourneau, Lefèvre et de leurs amis sont des signes d’un mouvement intéressant dans la philosophie. Je voudrais étudier brièvement ici le caractère,