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DELBŒUF. — déterminisme et liberté

qu’on est bien forcé d’avouer que la force peut être créée à nouveau, et, partant, de n’accorder au principe de la conservation de l’énergie que la valeur d’une loi approximative.

Hâtons-nous de donner une réponse négative à la question.

Scientifiquement parlant, il nous est tout aussi impossible de concevoir une création de force qu’une création de matière. Les corps animés, aussi bien que les corps inanimés, sont incapables de créer le mouvement. Leurs déplacements, et les déplacements qui en résultent pour les autres corps, s’expliquent par une simple transformation ou un simple transport de forces.

Deux mots de commentaire. On sait que la position ou le mouvement du centre de gravité d’un système de corps n’est nullement affecté par les changements qui peuvent se produire dans le système en vertu des forces qu’il révèle. Une bombe éclate dans les airs et disperse au loin ses fragments ; à chaque instant, le centre de gravité du système formé par leur ensemble occupe la même place que celle qu’il aurait, si la bombe n’avait pas éclaté. Un aéronaute tombe d’un ballon. Si l’on ne tient pas compte de la résistance de l’air, il aura beau, pendant sa chute, étendre ses membres dans tous les sens, il ne pourra pas s’écarter, si peu que ce soit, du point précis visé par son centre de gravité.

Autre exemple. Si l’on suppose un animal suspendu dans le vide par une corde immobile et sans raideur, à quelques contorsions qu’il se livre, son centre de gravité ne bougera pas, Ceux qui essayent, s’étant placés sur une escarpolette au repos, de se mettre en branle, n’y parviennent qu’après les plus grands efforts, et encore ils n’y réussiraient pas, s’ils ne s’aidaient de l’imperfection du mode de suspension et de la raideur des cordes pour se porter alternativement en avant et en arrière.

Figurons-nous maintenant qu’un autre corps, également suspendu, est à la portée de l’animal. Il pourra profiter de son voisinage pour déplacer son centre de gravité, soit en attirant, soit en repoussant ce corps. Mais, dans ce cas, c’est le centre de gravité du système, formé par ce corps et lui, qui reste où il est, et autour duquel s’effectuent les changements de position de l’un et de l’autre. Quand le premier monte, le second s’abaisse ; quand celui-ci est poussé vers la droite, celui-là est rejeté vers la gauche. C’est d’après le même procédé que se fait la locomotion, terrestre, aérienne ou aquatique, de tous les animaux. Quand une puce saute, elle repousse sous elle le centre de gravité de la Terre, pour élever le sien d’autant ; mais le centre de gravité du système formé par la Terre et elle, reste immobile. Les mouvements de l’animal, quelle qu’en soit la source, ne