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qu’elle se met visiblement en marche. En d’autres termes, il faut que la première pousse la seconde pendant un temps, si petit que l’on veut, mais non nul, pour qu’elle produise un effet visible. Plus sa masse est faible, ainsi que sa vitesse, en un mot, plus petite est la quantité de mouvement qui l’anime, plus ce temps doit être considérable.

Entre la cause et l’effet, entre la force et le mouvement qu’elle communique, il y a donc toujours un intervalle de temps qui, lui, dépend du rapport entre la cause et l’effet, entre la force mouvante et la masse à mouvoir. Nous avons la même fraction que tantôt, mais maintenant nous voyons clairement que le numérateur ne peut être nul, si petit que nous fassions le dénominateur. Si la quantité de mouvement qui représente la force mouvante était nulle, soit parce que la masse, soit parce que la vitesse serait nulle, il lui faudrait un temps infini avant de produire son effet, ce qui revient à dire qu’elle ne le produirait pas. En lançant contre la sphère un rien, ou en disposant tout contre elle une masse quelconque, mais au repos, nous ne la précipiterons pas. Il faut pour cela qu’une certaine masse soit jointe à une certaine vitesse, et plus grande sera la quantité de mouvement, plus rapidement se fera le détachement de la sphère. Il pourra même être tellement rapide que la sphère ne tombe pas, mais soit lancée dans l’espace suivant une direction à peu près rectiligne.

On voit donc clairement qu’un principe aura beau être immatériel, du moment qu’on ne met à sa disposition qu’une force infiniment petite, c’est-à-dire nulle, il n’en pourra rien faire, et son pouvoir directeur se réduira au néant.

Enfin, il n’est pas bien sûr que cette conception ne porte pas atteinte au principe de la conservation de l’énergie. Plaçons-nous par l’esprit devant un de ces points de bifurcation, au moment où l’intervention du principe directeur devient nécessaire. Mettons-nous bien dans l’esprit que les deux routes qui s’offrent à notre vue ne sont nullement symétriques. Car la symétrie ne serait concevable que si la partie simple de la trajectoire était une ligne droite servant d’axe de symétrie ; et ce n’est jamais ou, si on l’aime mieux, ce n’est que rarement le cas. Sous l’influence du principe directeur, le mobile va, par supposition, prendre la route de droite. Or cette détermination produit un effet tout autre que s’il avait pris la route de gauche. Evaluons mécaniquement la différence. Pour passer d’une trajectoire à l’autre, il est clair qu’il faudrait, au moment où le principe directeur pousse le mobile sur la voie de droite, contrecarrer son action par une impulsion dirigée d’une certaine façon et avec une certaine