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DELBŒUF. — déterminisme et liberté

masse ; de sorte que celle-ci peut être aussi grande que l’on veut, même infiniment grande, elle s’écroulera infailliblement. Et, si maintenant elle tombe d’une hauteur considérable, il aura donc suffi d’une cause insignifiante pour produire des effets incalculables. Par conséquent, si l’on compare la cause et les effets, on peut dire que le rapport tend vers la limite zéro. On a affaire ici à une fraction dont le dénominateur va croissant..

Mais, de ce que la fraction va diminuant à mesure que le dénominateur croît, on n’est pas en droit de conclure que le numérateur est nul. Une seconde n’est rien en présence de l’éternité ; mais c’est cependant quelque chose. Le temps se compose de secondes, et non pas de riens.

Voilà un premier sophisme mis à nu. Le sophisme qui se cache sous le raisonnement de Cournot est un peu plus difficile à démasquer.

La force qui fait basculer la sphère peut être aussi petite que l’on voudra. Or une quantité aussi petite que l’on veut n’est-elle pas une quantité nulle ?

En aucune façon. C’est, dans certains cas, une quantité que le calcul peut négliger et que l’on regarde, dans ces cas, comme égale à zéro ; mais de ce que l’on peut, que l’on doit même parois — selon la nature de la question — user de cette tolérance, ce n’en est pas moins une tolérance. Quand, dans un calcul d’intérêt, on convient de compter pour rien les fractions de centime, en sont-ce moins des fractions de centime ?

Mais pénétrons plus avant encore, et ici nous touchons à un sujet plein de mystère. Quand une force, c’est-à-dire un corps en mouvement, vient choquer un autre corps, elle transmet en tout où en partie son mouvement à ce corps. Pour fixer les idées, imaginons qu’une bille de billard vienne heurter une autre bille et lui transmette intégralement sa vitesse. Il ne faudrait pas croire que les choses se passent tout à fait comme si la première bille avait continué son chemin sans obstacle. Pas le moins du monde. Le transport du mouvement d’une bille à l’autre a pris du temps. Il s’est passé un certain intervalle entre le moment du contact et la mise en marche de la deuxième bille, Et en effet, si la première s’était arrêtée net dès l’instant du contact, comment aurait-elle poussé la seconde ? On ne peut pas admettre que, pendant un instant, les deux billes soient toutes deux en repos, sans quoi l’on ne voit pas pourquoi la seconde se mettrait à avancer, ou pourquoi ce ne serait pas la première qui reculerait. Non ! le mouvement passe graduellement de la première dans la seconde, et c’est quand celle-ci en a absorbé une certaine quantité