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chute oblique, vaincre l’insensible frottement de glissement du petit poids sur la goupille polie où son anneau se trouverait engagé de 1 millimètre. Ainsi, au moyen d’une superposition de poids que l’on regarderait comme compris dans le même système que le gros, on peut, par la pensée, réduire à l’indéfiniment petit l’effort extérieur capable de mettre tout en branle, et qui déterminerait la chute de millions de kilogrammes[1]

» Si, au lieu d’un poids suspendu à faire tomber, l’on considère les phénomènes explosifs…, on se convaincra que le rapport entre le travail capable de déterminer un changement d’énergie potentielle en actuelle, et la quantité de l’énergie ainsi transformée, que ce rapport, dis-je, ne saurait avoir d’autre limite de petitesse que zéro. »

M. de Saint-Venant fait entrevoir ensuite combien ce rapport doit être minime dans l’action de notre cerveau sur nos membres, et, ajoute-t-il, rien n’empêche de supposer « que l’union toute mystérieuse du sujet à son organe ait été établie telle qu’elle puisse, sans travail mécanique, y déterminer le commencement de pareils échanges[2]. »

Malgré leurs nombreux points de contact, une nuance sépare la solution de Cournot de celle de M. de Saint-Venant. Le premier est disposé à admettre que l’action du principe directeur peut être rigoureusement nulle ; le second lui donne pour limite zéro, en la faisant dépendre du rapport entre l’effet produit et la cause.

L’une et l’autre solution reposent sur un sophisme. Il règne, à l’égard des forces de décrochement, quelque confusion dans l’esprit de certains mathématiciens, et il n’est pas inutile d’insister, même après ce qu’en dit M. du Bois-Reymond[3].

Rien de mieux, pour faire saisir la cause de l’erreur commise par M. de Saint-Venant, que de reprendre l’image d’une sphère pesante placée en équilibre sur la pointe d’un cône. Il est certain que le moindre effort va la faire basculer, et cela quelque lourde qu’elle puisse être. Cet effort est même complètement indépendant de sa

  1. L’exemple suivant est plus facile encore à saisir que celui auquel M. de Saint-Venant s’est arrêté. Si l’on a un levier chargé à ses deux extrémités de poids aussi grands que l’on veut, mais parfaitement équilibré sur son point d’appui, il suffira de l’addition sur l’un des bras d’un poids aussi petit que l’on voudra, pour faire basculer tout le système. Or ce système, on peut l’imaginer placé aussi haut que l’on veut, et par conséquent, au moyen d’un poids indéfiniment petit, on peut développer une force indéfiniment grande.
  2. M. de Saint-Venant partage en outre l’opinion de ceux qui « reconnaissent dans les animaux, même inférieurs, des déterminations et des mouvements volontaires où non purement automatiques ; ce qui semble, au reste, évident pour tout le monde. »
  3. Voir, dans la Revue philosophique de février 1882, l’article précité.