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DELBŒUF. — déterminisme et liberté

Et plus loin : « Ce raisonnement indirect, duquel il résulte que l’intervention du principe vital comme force physique peut être atténuée autant que l’on veut, équivaut au fond, pour qui sait l’interpréter d’après toutes les analogies, à quelque raisonnement direct qui nous échappe, faute de données convenables ou de moyens convenables de les mettre en œuvre, et duquel il résulterait que cette part concomitante peut et doit être supposée rigoureusement nulle. »

Le raisonnement de M. de Saint-Venant est quelque peu différent de celui de Cournot et aboutit à la même conclusion.

« L’énergie dite potentielle, dit-il, consiste dans du travail disponible, comme est celui qui réside dans un ressort tendu ou comprimé, dans un poids suspendu à une certaine hauteur, dans une certaine quantité de fourrage, etc. ; l’énergie actuelle, vive ou cinétique, est la demi-force vive de corps ou corpuscules en nombre quelconque ayant des masses m et des vitesses v. Or, mon action, même supposée la plus étrangère à des motifs déterminants, se réduit à transporter une portion de l’une de ces deux espèces d’énergie d’un corps à un second corps ; ou, plus souvent, à transformer l’une des deux espèces dans l’autre en pareille quantité, ce qui laisse constante leur somme totale conformément à la loi. Je change, hors de moi, de l’énergie potentielle en actuelle si j’ouvre la bonde d’un réservoir d’eau, si je presse la détente d’une arme chargée, si je lâche le déclic retenant élevé de plusieurs mètres un mouton à enfoncer les pieux… Ces changements d’une portion d’énergie potentielle en énergie actuelle ou réciproquement, je puis les opérer sur mon propre organisme, et c’est ce que je fais librement presque à tout instant dans l’état de veille. Des actes intérieurs de ce genre doivent même précéder tous les actes extérieurs… Mais d’autres actes, plus intimes, doivent précéder encore ceux-là. Ce sont ceux qui se passent dans l’organe de la pensée, sous l’impulsion de la volonté. Or, la liberté des déterminations de celle-ci ne violera aucunement l’invariabilité qu’on supposerait s’étendre aux lois mécaniques des modifications de cet organe, car il peut n’y avoir toujours là qu’un simple changement de l’énergie d’une des deux espèces en une pareille quantité de celle de l’autre espèce.

» Considérons, pour nous en bien assurer, que… l’action de décrocher un poids considérable demande bien, de ma part, l’impulsion, sur le système dont, ce poids fait partie, d’une force qui lui est étrangère. Mais cette force peut être indéfiniment atténuée. Il suffit en effet de la chute d’un très petit poids pour en décrocher un gros, et un poids incomparablement plus petit encore pourrait, par sa