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fois que le mobile reviendrait se mettre en quelque sorte à sa disposition ; et la loi physique du mouvement, en ramenant périodiquement le corps à son point de départ, rendrait possible l’exercice de ce pouvoir, bien loin de le gêner[1]. »

Simplifions encore l’exemple inventé par M. Boussinesq. Une sphère pesante est mue par la seule action de la pesanteur ; son centre de gravité décrit une verticale. Supposons que cette verticale vienne aboutir au sommet d’un cône. La sphère viendra s’y reposer ; et elle pourra dans la suite, sous la moindre impulsion, reprendre son mouvement le long d’une génératrice quelconque du cône.

En partant de considérations semblables, on peut, avec M. Boussinesq, se figurer le cerveau comme un composé d’atomes lancés sur des trajectoires qui aboutiraient de distance en distance à de pareils sommets d’indétermination, ou qui reviendraient toujours se placer au même sommet. Seulement, d’après lui, l’agent volontaire, le principe directeur immatériel, aurait pour mission de faire cesser cette indétermination, et cela en dépensant une force égale à zéro.

Cournot[2] avait déjà eu l’idée, et elle a été reprise plus tard par M. de Saint-Venant[3], d’utiliser la notion d’une force décrochante pour expliquer l’acte libre.

« Pour soulever des quartiers de rocher, dit Cournot, pour fouiller et percer des montagnes, l’homme a besoin de déployer une force mécanique énorme : il la trouve dans la subite expansion des gaz que développe en brûlant un mélange de salpêtre, de soufre et de charbon pulvérisés. Pour se procurer l’étincelle qui mettra le feu aux paquets de poudre et fera sauter le rocher… la physique enseignera à concentrer… à l’aide d’une lentille de verre, l’un des rayons que le soleil nous envoie, et la chimie produira des mélanges explosifs dont la détonation n’exige que le frôlement d’une plume ou la présence de la lumière diffuse. Ainsi, nous ne manquons pas de termes de comparaison qui puissent nous aider à comprendre comment le principe de la vie et de l’organisation pourrait intervenir et agir, non à la manière des forces physiques, non en ajoutant son action aux leurs ou en les neutralisant par une action contraire du même genre, mais en leur imprimant une direction appropriée. Ce que l’homme fait par combinaisons réfléchies, l’énergie vitale le ferait spontanément, sans conscience d’elle-même, bien plus sûrement et avec un artifice infiniment plus merveilleux. »

  1. Revue scientifique, 18 avril 1877, p. 988.
  2. Traité de l’enchaînement des idées fondamentales dans les sciences et dans l’histoire, 1861, T. I, pp. 964, 370, 874.
  3. Accord des lois de la mécanique avec la liberté de l’homme dans son action sur la matière. (Comptes rendus, etc., 5 mars 1877, t. LXXXIV, p. 419 et suiv.).