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DELBŒUF. — déterminisme et liberté


IV

De la prétendue nécessité d’un principe directeur pour lever des cas d’indétermination de mouvement.

Le sujet qui me reste à traiter est plutôt du ressort des géomètres que des philosophes. Mais il n’est peut-être pas mauvais de mettre ces derniers en garde une bonne fois contre certains sophismes ou paradoxes mathématiques auxquels ils sont sujets à se laisser prendre, Erreur excusable : n’ont-ils pas été élevés dans l’idée que les sciences mathématiques sont infaillibles ? Elles le sont, en effet, pourvu qu’on ne veuille pas voir dans les formules autre chose que ce qui y est véritablement contenu.

En 1877, M. Boussinesq, professeur à la Faculté des sciences de Lille, annonça avec un certain fracas qu’il avait enfin trouvé la vraie solution du problème du libre arbitre. Il publia dans les Comptes rendus[1]. dans la Revue scientifique[2], dans la Revue philosophique[3] des notes à l’appui d’un gros mémoire, tout hérissé de formules savantes et de réflexions métaphysiques ingénieuses, mais passablement embarrassées et obscures.

À l’Académie des sciences, un autre mathématicien, M. de Saint-Venant, se fit en quelque sorte le parrain de l’invention. Dès lors, rien d’étonnant que M. P. Janet, ému d’un si imposant appareil, persuadé d’ailleurs que des intégrales ne peuvent mentir, ait cru pouvoir, tout en déclinant sa compétence, donner son approbation, dans un rapport lumineux comme lui seul sait en faire, à un travail qu’on lui présentait comme sauvant la liberté. Ce rapport fut publié en tête du volume de M. Boussinesq[4].

Cette philosophie mathématique ne passa pas toutefois sans protestation. En septembre 1878, il parut dans le Journal des savants un article incisif de M. Bertrand qui lui portait les plus terribles coups. Et tout récemment encore — tant cette question de la liberté sollicite les penseurs — M. du Bois-Reymond[5] n’a pas dédaigné de

  1. 19 février, p. 362, 30 avril, p. 944.
  2. 14 avril 1877.
  3. Janvier 1879.
  4. Conciliation du véritable déterminisme mécanique avec l’existence de la vie et de la liberté morale, par J. Boussinesq, précédée d’un rapport de M. Paul Janet, à l’Académie des sciences morales et politiques ; extrait des Mémoires de la Société des sciences, de l’agriculture et des arts de Lille, année 1878, t. VI, 4e série.
  5. Die sueben Weltrathsel, etc., voir la Revue philosophique, février 1882.