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capable d’imprimer à un point matériel. Rappelons que la quantité de mouvement d’un point est le produit de sa masse par sa vitesse. Ainsi la masse étant double et la vitesse triple, la quantité de mouvement et, par conséquent la force, est sextuple. En somme donc, en mécanique et, nous pouvons l’ajouter, en physique, la force ne se conçoit que sous la forme d’un mouvement inhérent à des masses, c’est du mouvement emmagasiné. Si la force meut, c’est qu’elle est elle-même mouvement ; et le passage du repos au mouvement, comme du mouvement au repos, n’est, en dernière analyse, que la communication d’un mouvement. Le corps mouvant transmet tout ou partie de son mouvement au corps mû ; et, dans le premier cas, quand il transmet tout son mouvement, il est mis lui-même en repos. Comment se fait cette transmission du mouvement ? Question obscure, mais nous n’avons pas à la traiter. Une force ne peut donc varier son intensité. Autant dire qu’elle ne peut créer ou détruire une partie d’elle-même.

Peut-elle davantage varier sa direction ? En aucune manière. Des forces partant du même point et qui ont des directions différentes, ne peuvent se substituer l’une à l’autre, elles se composent. Une force qui varierait sa direction créerait donc quelque part une autre force capable en se combinant avec elle de la placer comme résultante dans la situation nouvelle.

Enfin elle ne peut pas non plus varier son point d’application, à moins de l’échanger contre un des points de son parcours. Une force qui se transporterait dans l’espace parallèlement à elle-même, créerait au fond deux forces égales et de signes contraires agissant à l’extrémité de la droite qui relierait le point de départ au point d’arrivée.

Quand donc l’imagination des spiritualistes crée de prétendues forces libres qui pourraient faire varier elles-mêmes, ou leur intensité, ou leur point d’application, ou leur direction, ils tombent dans le non-sens. Tout changement d’une pareille nature suppose l’intervention d’une ou de plusieurs forces spéciales, parfaitement déterminées. Considérer les êtres libres comme des magasins de forces dont ils disposeraient à leur gré, en ce sens qu’ils pourraient les porter à droite ou à gauche suivant leur besoin ou leur fantaisie, c’est déguiser sous un masque scientifique une absurdité qui n’en devient que plus choquante[1]. Il n’y a pas, il ne peut y avoir de forces libres, dans le sens précis que certains psychologistes voudraient attacher à ce mot. De semblables forces libres auraient la faculté d’augmenter ou de diminuer la somme de l’énergie de l’univers.

  1. Il est très remarquable que Descartes ait cru pouvoir accorder à l’âme une action sur la direction du mouvement, bien qu’il lui déniât la faculté de produire le mouvement (voir Revue phil., février 1882, p. 183).