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DELBŒUF. — déterminisme et liberté

Remarquons d’abord ces mots de lui-même. Ils décèlent nettement la préoccupation d’opposer les corps purement matériels aux corps vivants qui ont l’air de se mettre d’eux-mêmes en mouvement ou en repos. Notons aussi que la définition parle d’un point matériel. La notion du point matériel est en soi doublement contradictoire. Le point, c’est un néant qui occupe un lieu de l’espace, un rien dont on peut dire quelque chose ; en outre, la matière dont est fait ce point matériel, n’a, en dehors de l’inertie, aucune propriété, aucun attribut ; elle est un néant qualitatif.

De sorte que l’expression point matériel désigne un double néant ; et cependant on ne pourrait mettre à sa place ni celle d’atome ou de molécule, ni celle de particule. L’atome, la molécule, la particule ont une étendue plus ou moins appréciable, et par conséquent une forme ; et ils ont des propriétés, et par conséquent une force propre. Dans la molécule ou la particule, les atomes sont en mouvement, et l’atome lui-même n’a probablement pas d’existence en dehors de la molécule.

Le point matériel de la mécanique est ainsi une pure fiction, mais une fiction nécessaire, obtenue par l’abstraction de l’étendue et de toute qualité spécifique ; on ne lui a laissé que la propriété d’occuper un lieu et de résister à toute cause tendant à changer son état de mouvement ou de repos. Cette faculté de résistance, c’est l’inertie. En tant que mesurée, elle s’appelle masse. Les points matériels se distinguent par deux attributs seulement, par leur position et par leur masse, c’est-à-dire par la difficulté plus ou moins grande que l’on éprouve à les mouvoir.

Partant de là, on a appelé force la cause du mouvement (ou du repos). J’ai démontré ailleurs que cette définition est fausse[1] et insoutenable. Mais acceptons-la telle quelle.

Il en découle tout d’abord cette conséquence que la force mécanique s’évalue par la quantité de mouvement qu’elle imprime ou est

    se heurte à une notion aussi obscure que celles de la force et de la matière, la notion du temps.

    D’autre part, la critique de M. Pirmez tomberait juste si la mécanique était une science de la réalité. Je dois dire que nombre de géomètres se l’imaginent comme lui. Mais les lois mécaniques sont abstraites et elles n’ont de vérité qu’en tant qu’appliquées à des abstractions. En l’absence de point de repère, pour la mécanique, une masse animée d’un mouvement rectiligne et uniforme est la même chose qu’une masse en repos ; or, cela est vrai de ces masses imaginaires, telles que les forge la mécanique, composées de points reliés entre eux par des relations invariables. Mais des masses réelles se conduiraient tout autrement, et l’inspection d’une seule de leurs particules nous ferait connaître si elles sont mues ou non. C’est ce que nous verrons plus tard.

  1. Essai de logique scientifique, p. 221 et suiv. Il faut retourner la proposition : Le mouvement est la mesure de la force.