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La notion de force est en soi passablement obscure. Elle provient d’un transport à l’extérieur d’un attribut dont l’homme croit être en possession, à savoir celui de mouvoir son propre corps et, partant, la matière — attribut qu’il a ensuite étendu à ses semblables, puis aux animaux. Quant à la matière, il la regarda longtemps comme incapable de se mouvoir d’elle-même. Tout mouvement lui semblait être le résultat d’une volonté. C’étaient des divinités qui guidaient les astres, des génies qui déchaînaient les vents, des nymphes qui alimentaient les fleuves, un dieu qui soulevait les mers.

À tout prendre, cette conception enfantine était un essai d’explication. Pourquoi n’était-il pas scientifique ? Uniquement parce que les mouvements étaient rapportés à des esprits libres. On voit déjà où j’en veux venir.

L’histoire de la science n’est qu’une longue lutte contre cette spiritualisation de la nature. La physique se constitua sérieusement du jour où elle bannit l’horreur du vide ; la physiologie, quand Schwann eut porté le coup de grâce à la force vitale ; et la chirurgie (pour ne pas citer la médecine), lorsqu’elle cessa de se fier à la vis medicatrix de la nature.

Ce n’est pas que nous soyons parvenus à balayer radicalement’toutes les entités dynamiques. Les sciences expérimentales ont, elles aussi, des espèces de virtus dormitiva, accommodées à leur propre usage. Mais, au moins, on se défie actuellement de ces mots prétentieux et vides, et l’on aspire après le moment où l’on pourra se passer et de l’attraction et de l’affinité et du magnétisme.

Pour en revenir à la science du mouvement, la dynamique fut créée le jour où l’on énonça la loi d’inertie. Inertie, c’est là un mot qui signifie bien des choses, et, si l’on entendait toutes ces choses quand on dit que la matière est inerte, on se tromperait grossièrement. En mécanique, ce terme a une signification spéciale et restreinte.

La matière est dite inerte, en ce sens qu’un point matériel, s’il est en repos, ne se met pas de lui-même en mouvement, et, s’il est en mouvement, ne se met pas de lui-même en repos[1].

  1. Je dois prévenir le lecteur que je n’accepte comme satisfaisante aucune des définitions élémentaires de la mécanique. Je renvoie sur ce point à mon Essai de logique scientifique, où j’ai examiné à fond les notions qui se rapportent au mouvement (p. 227 et suiv.).

    Un esprit extrêmement ingénieux et subtil, M. Pirmez, ancien ministre et membre de la Chambre belge, a dans un livre dont la Revue a rendu compte (décembre 1881), attaqué la loi d’inertie. Il est parti de cette idée que le mouvement était une activité, et le repos un état. Le mouvement indéfini lui apparaît ainsi comme une suite indéfinie d’effets sans cause. Mais l’existence indéfinie est dans le même cas. Au fond, sans s’en douter, M. Pirmez