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core une certaine influence sur l’acte de la mastication, lent ou précipité, parfait ou imparfait. Mais quant à la sensation préliminaire de faim ou de soif, quant à la sécrétion de la salive, et à ce qui se passera après que le liquide ou le bol alimentaire sera entré dans l’œsophage, nous savons que ce sont choses en dehors de notre volonté.

Il en est de même de nos appétits et de nos répugnances. L’enfant sollicité de prendre une drogue qui lui soulève le cœur porte vingt fois de suite à ses lèvres le verre qui la contient, et l’éloigne, sans parvenir à le boire. Or il sait que le premier mouvement est voulu et que le second ne l’est pas. Il sent bien en outre qu’il a le pouvoir d’avaler le médicament, mais qu’il n’a pas celui de ne pas avoir de nausées.

Nous ne pouvons pas avoir la faculté de nous soustraire à la maladie et à la douleur, quoique nous ignorions profondément la cause de l’une comme de l’autre. Mais quand nous allons délibérément chez le dentiste, et que nous supportons résolument l’arrachement d’une molaire, nous nous flattons d’avoir fait preuve de stoïcisme. J’ignore ce que c’est que la vision et quelle cause fait que mes yeux voient. Cependant jamais il ne m’est venu en tête de croire que c’est à ma liberté que je dois, chaque fois que je les dirige vers ma fenêtre, de voir la Meuse et ses douces collines. Mais c’est elle, je n’en doute nullement, qui fait que je fixe mon regard sur mon papier ou que je le porte autre part.

Vous essayez de ne pas cligner des yeux devant la menace d’un coup fictif, de ne pas broncher sous le couteau du chirurgien, de ne pas reculer quand vous voyez venir à vous d’un mouvement rapide un corps que vous savez cependant ne pouvoir vous atteindre, vous faites preuve de foi dans le pouvoir de la volonté s’opposant à ces puissances inconnues qui vous dominent.

Celui qui, pour en finir avec la vie, va se précipiter dans le vide, sait que le dernier de ses pas, il peut ne pas le faire, s’il le veut, mais il a prévu qu’après ce pas, il ne lui sera plus possible de revenir sur sa détermination.

Quel est le nageur qui, voulant attenter à ses jours, ira se jeter à la rivière, sans prendre au préalable certaines précautions ? Et pourquoi ? parce qu’il pressent qu’une fois à l’eau, il nagera malgré lui. Sa volonté se défie d’elle-même.

Non seulement nous distinguons entre les mouvements volontaires et les mouvements involontaires, mais nous établissons des nuances et nous faisons la part exacte de la volonté et de l’habitude et de l’instinct. Quelqu’un avait un certain soir une visite à faire. Les per-