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DELBŒUF. — déterminisme et liberté

que les autres phénomènes, tandis que ceux-là révoquent en doute des résultats qui contrarient leurs convictions.

Devons-nous parler d’une tentative de conciliation imaginée par l’abbé Galiani, qui fit sourire Diderot, mais que M. Caro vient d’adopter pour son propre compte en lui faisant subir une modification hardie ?

Il ne peut exister d’être libre, pense l’abbé ; d’autre part, sans liberté, pas de morale. Cependant, tout bien pesé, la persuasion de la liberté lui paraît suffire. « Or être persuadé que l’on est libre est-ce la même chose qu’être libre en effet ? Je réponds : Ce n’est pas la même chose, mais cela produit les mêmes effets en morale. L’homme est donc libre puisqu’il est persuadé de l’être et que cela vaut autant que la liberté. Cela suffit pour établir une conscience, un remords, une justice, des récompenses et des peines[1]. »

M. Caro va plus loin : « Par cela même que nous croyons être libres, dit-il, nous le sommes. Ce n’est pas seulement la conviction de notre liberté que nous avons, c’en est la réalité même que produit cette conviction. Un être intelligent, dès qu’il se croit libre, l’est en fait moralement et psychologiquement ; on est libre aussitôt qu’on pense l’être et dans la mesure où l’on croit l’être. C’est là la vérité humaine, complète, en dépit de tous les raisonnements à priori et de tous les théorèmes du déterminisme et du mécanisme. Je suppose que c’est cela, au fond, que Galiani a voulu dire, et je ne saurais, pour mon compte, trop l’approuver[2]. »

Ainsi, pour M. Caro, la persuasion crée la chose même dont on est persuadé ! Pourtant il est douteux que, juge, il condamnerait un insensé qui avouerait son crime et soutiendrait, devant le tribunal, l’avoir commis de propos délibéré.

II

Le libre arbitre peut-il être une illusion ?

Quand les moralistes demandent aux déterministes de rendre compte de la notion de liberté et de la foi de chacun dans le libre arbitre, ils reçoivent pour réponse qu’ils sont sous l’empire d’une illusion.

Quand, à leur tour, on leur demande comment ils entendent les rapports des forces naturelles et de la liberté, ils déclarent que la nature comporte des forces libres.

  1. Correspondance, 23 novembre 1777.
  2. Journal des savants, décembre 1881.