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de vérité ? La science ne connaît que des lois ; la vérité, que des rapports éternels. Que signifient les enseignements de l’histoire, si les événements ne découlent pas nécessairement de leurs causes ? La liberté dérange tous les calculs, met à néant tous les principes, rend illusoires tous les axiomes. Un clignement d’yeux ébranle l’univers ; et, si cet ébranlement n’est pas renfermé dans le principe des choses, qui peut répondre que la machine entière ne doit pas se détraquer un jour ?

D’ailleurs il n’y a pas d’effet sans cause, et un acte libre n’a pas de cause. Sans doute, on répond que la cause c’est la liberté ; mais c’est une pure pétition de principe. La force ne se crée pas, non plus que la matière. Si un être pouvait se mettre en mouvement de lui-même, il créerait évidemment une force, et la chaine universelle serait rompue.

Enfin toutes les sciences, qu’elles aient ou qu’elles n’aient pas directement l’homme pour objet, le montrent en tout soumis aux lois qui régissent les corps. La physique et la chimie, l’anatomie et la physiologie, la paléontologie et l’embryogénie, l’ethnographie et la statistique proclament à l’envi que la moindre de ses actions est déterminée par des états corporels correspondants. Comprimez cette circonvolution, il perdra l’usage de la parole ; irritez ce nerf, il tombera en épilepsie ; lésez ce ganglion nerveux, il oubliera son nom. Quelles preuves plus éclatantes faudrait-il donc apporter de son assujettissement à la matière ?

Les indéterministes essayent bien de répliquer en distinguant subtilement entre la cause et l’instrument. Le cerveau n’est pas la cause de la pensée ; il n’en {est que la condition ou l’organe. Le meilleur des ouvriers ne peut rien faire sans outil. — Mais la faiblesse de la comparaison saute aux yeux. Où est-il cet ouvrier immatériel qui travaille au moyen du cerveau matériel ? qui, sans être lui-même matière, manipule la matière ? Et puis, à quoi sert son intervention ? Ne pourrait-on pas, en étendant le raisonnement, soutenir que l’huître est habitée par une âme humaine qui ne peut se manifester au dehors à cause de l’imperfection de ses organes ? Non | l’homme est matière, il est dominé par la matière, et plus la science pousse loin ses investigations, plus elle découvre les connexions organiques qui déterminent les actes qualifiés de spirituels.

C’est ainsi que les deux partis se lancent de loin des traits impuissants et sans portée ; les uns se réfugiant dans leur for intérieur, où les autres ne tentent pas de pénétrer ; ceux-ci se confinant dans la science de la nature extérieure où l’homme figure au même titre