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DÉTERMINISME ET LIBERTÉ

LA LIBERTÉ DÉMONTRÉE PAR LA MÉCANIQUE


S’il est un problème qui tout à la fois passionne et désespère, c’est celui de la liberté. Depuis le jour où l’homme s’est mis à réfléchir sur sa propre nature, il n’a cessé de se poser cette question Suis-je libre ? La réponse diffère suivant le point de vue où il se place. Législateur ou juge, le libre arbitre est pour lui un dogme ; prêtre ou fidèle, il en fait le sacrifice absolu aux pieds de la divinité. Philosophe moraliste, il trouve dans son sens intime la preuve irréfragable de l’indépendance de sa pensée consciente ; philosophe physicien, les lois de la nature, universelles et immuables, lui défendent d’accorder à n’importe quel être le privilège de s’y soustraire.

S’agit-il d’expliquer l’origine de la matière, du mouvement, de la vie, de la sensibilité, de la finalité, de la pensée, ou, comme les a appelées M. du Bois-Reymond, les énigmes du monde[1], les penseurs conservent des doutes ; ils énoncent leur opinion avec une certaine défiance et essayent autant de se convaincre eux-mêmes que de convaincre leurs adversaires. Qu’ils le disent ou qu’ils le taisent, ils plaident en faveur d’une probabilité. Le libre arbitre est-il en cause, tant qu’il s’agit de théorie et non de pratique ceux qui l’affirment, comme ceux qui le nient, ont une persuasion égale, et ni les uns ni les autres ne parviennent à comprendre comment il se fait que tout le monde ne la partage pas.

Les autres énigmes nous touchent de moins près ; et, à tout prendre, il nous semble que nous avons soulevé quelque coin du voile qui les recouvre. L’astronomie, la physique, la chimie, la physiologie, si elles ne nous permettent pas encore d’en entrevoir la solution, les ont du moins beaucoup simplifiées, et nous croyons

  1. Die sieben Welträthsel, discours prononcé devant l’Académie de Berlin, le 8 juillet 1880, pour l’anniversaire de Leibniz ; voir Revue phil., février 1882. p. 180.