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correspondance

elle trainera l’autre après soi, presque comme une ombre où comme un écho ; l’une sera à tour de rôle figure et symbole de l’autre. Ainsi le ciel pur et la paix de l’âme, la flamme ardente et la colère, la lumière et la vérité, les ténèbres et l’ignorance, le lis et la pureté, la rose et la jeunesse et tant d’autres couples pareils seront conjoints en nous par ce lien d’un sentiment commun, qui a sa correspondance dans chacun des deux termes.

Anselme. — Cette explication me plaît et me rappelle un rapprochement, que j’ai lâché autrefois de m’expliquer, entre deux phénomènes auxquels je cherchais vainement de trouver une ressemblance extérieure…

Je considérais bien souvent en moi-même quel rapport il pourrait y avoir entre les accords musicaux en mode mineur et la tristesse. Comment se fait-il, me disais-je, que la différence d’un demi-ton doive produire cette différence énorme entre les sentiments éveillés dans notre âme par le mode majeur et par le mode mineur ? Et, à force de revenir sur cette pensée, je croyais enfin avoir saisi le mot de l’énigme. L’accord en mode mineur, dis-je, est une harmonie ; partant il est agréable et l’âme s’y repose. Mais, comme ce n’est pas une harmonie parfaite, telle que le majeur, le repos et le contentement qu’on y trouve ne sont pas complets[1].

Ceci veut dire qu’à côté de la satisfaction il reste dans l’âme un désir, quoique faible et languissant, de changer cette sensation pour une autre, qui porte avec soi le repos absolu.

Cette faible inquiétude, qui accompagne le repos, n’est cependant pas désagréable en elle-même, parce qu’elle maintient dans l’âme une oscillation légère, un mouvement à peine sensible, qui n’est pas sans convenir à sa nature et particulièrement à certaines constitutions délicates. Or je trouve qu’une mélancolie douce et tranquille est un sentiment analogue à celui que nous avons décrit, Dans celle-là aussi, l’âme se repose, n’étant pas agitée par des contrastes violents ; mais à côté du repos il y a une cause permanente d’inquiétude, comme par exemple l’obscure et languissante réminiscence d’un bien qu’on a depuis longtemps perdu. Cette inquiétude, tant qu’elle ne dépasse pas un très faible degré, ou la nature irritable de l’âme et de certaines âmes en particulier, n’est elle-même pas exempte de plaisir.

Ainsi donc, le sentiment dû au mode mineur et celui de la tristesse se ressemblant tous deux par ce côté, ils formeront, en vertu de cet élément commun, un tout inséparable, et l’un amènera toujours l’autre après soi.

Je fis de plus l’observation qu’il y a analogie entre ces deux sentiments d’une part et celui de la tristesse de l’autre, non pas de celle

  1. Ce qui est dit ici de l’harmonie peut être appliqué aisément à la mélodie, vu que l’une n’est que le développement de l’autre, l’une est l’autre en mouvement. Les sons en sont au fond identiques.