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psychiques qui en découlent que de rares et très générales analogies. Le mot idéal est pris ici dans le sens du grec ιδεα, idéal comme impliquant une forme, une unité dans laquelle toutes les parties sont nécessairement à leurs places respectives. Helmholtz avait avancé que, les forces se mesurant aux mouvements qu’elles produisent, les mouvements mélodiques se rapportent aux forces internes, c’est-à-dire aux sentiments et aux passions qui agitaient l’âme du compositeur, et déterminent dans l’âme de l’auditeur des mouvements concomitants. À cela, M. Gurney oppose une objection qui lui semble péremptoire. « Nous devrions admettre alors, dit-il, qu’il y a beaucoup plus de force motrice ou, si l’on veut, émouvante, dans les études de Czerny ou dans les exercices acrobatiques de certains pianistes, que dans telle belle sonate de Beethoven, la Pastorale, par exemple, l’une des favorites de l’auteur. L’argument ne me paraît pas sans réplique, et voici comment, à mon avis du moins, il est possible d’y répondre, en. se fondant sur les propriétés les plus incontestables des perceptions, des activités mentales. M. Gurney nous accordera bien, sans doute, que le geste rentre complètement et absolument dans la catégorie des mouvements physiques. Il nous concédera que le geste, par ses différentes nuances et en proportion de son énergie, exerce une action esthétique incontestable. Un grand acteur ou un grand orateur, pourtant, dans cette partie de son art qu’on appelle l’action, se donne infiniment moins de mouvement proprement dit qu’un froiteur qui cire un parquet, ou tout simplement qu’une personne qui, venant de se brûler, agite vivement le doigt ou la main pour diminuer la douleur. Néanmoins le geste de Talma ou de Berryer nous émeut profondément, tandis que le frotteur, la personne qui se brûle nous laissent dans la plus parfaite indifférence.

Dira-t-on que le geste oratoire ou théâtral est d’une nature spéciale, distincte des autres mouvements physiques ? Je crois cette complication parfaitement inutile. La vérité, à mon avis du moins, est que, esthétiquement, un mouvement ne nous intéresse qu’autant qu’il est la traduction d’une émotion intérieure, et que nous négligeons systématiquement, dans le domaine de l’art, tous les mouvements qui n’ont pas ce caractère, exactement comme dans les perceptions visuelles nous négligeons les sensations entoptiques, les images doubles, bréf tout ce qui nous serait nuisible, ou simplement inutile, pour comprendre le monde extérieur. On peut ajouter à cette observation une autre considération également empruntée aux caractères généraux des perceptions. Toutes les fois qu’il se présente à nous un même groupe composé des mêmes éléments disposés dans le même ordre, au bout de : très peu de temps, nous sommes amenés à prendre pour unité, en quelque sorte, le groupe lui-même, et à négliger complètement les parties qui le composent. Nous compterons une armée par : divisions, brigades ou régiments, plutôt que par hommes. Devant un monument d’architecture, si le même motif d’ornementation est suffisamment répété, l’œil ne se