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ANALYSES. — EDMUND GURNEY. The Power of sound.

nous l’avons dit, une succession de notes de hauteurs différentes, c’est-à-dire une mélodie. Les deux facteurs essentiels de la mélodie sont donc la hauteur et le rythme. Avec beaucoup de raison, à mon sens, M. Gurney attache à ce dernier élément une importance capitale. Le rythme forme l’ossature et comme le squelette d’une construction mélodique quelconque. Et cela est si vrai que si, dans une phrase musicale, vous modifiez le rythme sans changer les notes, vous détruisez complètement non seulement le caractère, mais l’existence même du morceau. Si, au contraire, changeant les notes, vous laissez le rythme intact, vous obtenez une seconde phrase offrant avec la première une parenté incontestable, Je pourrais citer, à l’appui de ce principe fondamental, le bel adagio du grand trio en si bémol de Beethoven (Op. 97). Dans l’une des variations du thème, il ne reste plus guère que l’élément rythmique, et l’oreille reconnaît cependant très bien lé motif. La pensée première se trouve, pour ainsi dire, à l’état latent, mais son impression persiste, et, quand la phrase se précise de nouveau, l’âme de l’auditeur a toujours conservé la même allure.

Les répétitions symétriques jouent un rôle important dans la mélodie. Bien que ne répondant à aucun objet déterminé où même déterminable, une pensée musicale a un commencement, un milieu, une fin, Ses différentes parties conservent entre elles un lien et comme une logique incontestables. Je ne puis que renvoyer ici le lecteur aux démonstrations très ingénieuses, bien que parfois un peu subtiles, où M. Gurney me semble établir tous ces faits avec une lumineuse évidence, mais dont l’analyse dépasserait de beaucoup les limites de ce compte rendu.

Mais, si la musique, cet art de présentation, se maintient constamment en dehors du monde extérieur, si ses propriétés se manifestent dans un domaine tout à fait à part de nos idées, de nos sentiments ordinaires, comment peut-elle exercer sur notre âme une influence aussi profonde, aussi vive ? comment peut-elle déterminer en nous des émotions esthétiques aussi vives, sinon plus, que les autres arts ?

La solution donnée par M. Gurney à ce problème capital offre une grande analogie avec celle qui a été proposée par Hanslick et Helmholtz Puisque les sons se déplacent dans une-sorte d’espace particulier[1] (j’ai essayé ici même d’expliquer ce phénomène), suivant un rythme, avec une vitesse déterminés, puisque l’impression sonore est pour nous comme un mobile dont nous déterminerions à chaque instant la position avec une précision extraordinaire, il est presque impossible de ne point assimiler la mélodie à un mouvement, et de ne pas expliquer ses propriétés expressives par les propriétés correspondantes de tous les mouvements. M. Gurney admet ce point de vue, mais il le restreint d’une manière peut-être excessive. Pour lui, le mouvement musical se réduit à ce qu’il appelle le mouvement idéal (Ideal Motion), n’offrant avec nos mouvements physiques et avec les suggestions

  1. Voir la Revue de juin et juillet 1881.