Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/440

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
436
revue philosophique

deur et de majesté, fait œuvre d’art au même titre, je ne dis pas au même degré, que Poussin ou Claude peignant des paysages historiques dont ils choisissent eux-mêmes les éléments sous l’empire d’une idée déterminée.

M. Gurney veut ensuite que l’œuvre d’art soit conçue en dehors de toute préoccupation autre que de celle de fournir une impression esthétique. En un mot, pour lui, l’art doit être désintéressé de toute idée utilitaire ou même morale ; il ne fait pas partie de l’outillage usuel de la vie (not part of the machinery of life). L’art cherche, non pas à adapter à nos besoins les objets qui nous environnent, mais à nous ouvrir de nouvelles voies dans les activités les.

M. Gurney attache aussi, à l’œuvre d’art, une idée de permanence qui lui fait bannir du sanctuaire l’art de l’orateur, de l’artiste, du chänteur, du danseur. À mon sens, c’est là encore une idée peu admissible ; la chose signifiée est indépendante du signe, et il me semble que les poésies homériques, chantées par des rapsodes ou les improvisations des bardes écossais n’empruntent rien de leur valeur esthétique à l’existence de l’écriture.

L’auteur anglais me paraît, au contraire, très heureusement inspiré, lorsque, après avoir montré les analogies profondes qui existent entre une œuvre d’art et un organisme vivant, il arrive à conclure que le véritable caractère de l’art, c’est la perception de la forme obtenue directement par les sens. Là réside en effet la véritable différence qui sépare les productions de la pensée pure, démonstrations, réflexions, etc., des activités mentales qui rentrent dans le domaine de l’esthétique. La sensation prend une part directe, active en quelque sorte dans l’action exercée sur l’âme des spectateurs ou auditeurs. Pour les arts qui s’adressent à l’oreille, la forme, c’est, en musique, l’arrangement et la combinaison des sens ; en poésie, le rythme, c’est-à-dire la distribution des sens dans la durée.

Nous arrivons ensuite à une classification des beaux-arts. M. Gurney les répartit entre deux catégories principales : la première, qu’il appelle celle des arts de représentation et où l’œuvre décrit un objet extérieur déterminé, le sujet (subject-matter) ; elle comprend la poésie, la sculpture, la peinture, La seconde est celle des arts de présentation, qui sont l’architecture et la musique. Le sujet, c’est, pour la première catégorie, la combinaison de formes visuelles de différentes sortes, et, pour la seconde, l’arrangement de formes auditives, c’est-à-dire de séries de sons tout à fait indépendants des phénomènes externes et des utilités objectives, n’existant pas en dehors de l’art. J’avoue que le sens du mot présentation n’est pas ici parfaitement clair pour moi ; mais on comprend toute la difficulté d’exprimer les propriétés de ces impressions tout internes, au moyen de mots qui correspondent, pour la plupart, à des réalités extérieures.

Après ces prolégomènes généraux, M. Gurney arrive à l’analyse des phénomènes musicaux proprement dits. La forme, en musique, c’est