Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
427
ANALYSES. — CL. ROYER. Le bien et la loi morale.

férents, mais non pas opposés, d’un seul et même noumène, constituant l’étoffe de l’univers. » Ce noumène d’ailleurs n’est pas un, mais plusieurs ; Mme Royer pose comme un postulat, impliqué par les données les moins contestables de la science moderne, l’existence d’un nombre indéfini d’atomes : chacun est un « centre de force répulsive indéfiniment expansible en tous sens » ; dans son expansion, il rencontre d’autres éléments semblables qui lui limitent l’espace et lui donnent une forme polyédrique quelconque pouvant toujours s’inscrire dans une sphère d’un rayon également quelconque. Tous ces polyèdres sont ainsi nécessairement en contact réciproque, et les plans de contact, toujours mobiles et vibrants, sont à la fois le lieu et l’organe de la sensation élémentaire. Refoulé en quelque sorte sur lui-même, l’atome prend conscience de son être et, plus confusément, de la totalité des autres atomes ; par suite, il possédera la notion précise et définie de l’espace qu’il occupe, et a notion indéterminée de celui qu’il n’occupe pas ; enfin, come il est éternellement mû dans cet espace sans limite, il connaîtra l’éternité du temps. Les conditions premières de l’entendement, les notions dites à priori, sont ainsi données dans la conscience que l’atome prend de son existence par son contact avec les autres.

Ce n’est là sans doute qu’une hypothèse, et nous aurions peut-être mauvaise grâce à la trop presser. Mais elle est fondamentale dans le système moral de l’auteur, et comment s’empêcher d’avouer qu’elle est tout au moins étrange et fort invraisemblable ? J’admettrais à la rigueur l’atomisme, bien qu’il me paraisse déjà téméraire de spéculer sur ce que peut être la matière en soi ; mais encore faudrait-il que cet atomisme ne heurtât pas trop violemment les habitudes de penser auxquelles nous a façonnés la science moderne. Parlez donc à un physicien, à un chimiste, d’atomes ayant la notion précise et définie de l’espace et du temps ; d’atomes ayant d’eux-mêmes une conscience éternelle, et non seulement une conscience psychique, mais une conscience morale, auprès de laquelle la nôtre n’est jusqu’ici que « ténèbres, illusions, préjugés traditionnels de caste ou de nation » ! Il est vrai que si l’atome est bien heureux et omniscient, c’est sans le savoir ; il n’est pour ainsi dire que sensation élémentaire ; il ne réfléchit ni ne raisonne ; il est un minimum de conscience. Nous ne sommes pas de ceux que scandalisent les nouveautés philosophiques, même les plus risquées nous sommes plein de respectueuse sympathie pour toute tentatives incère de résoudre le problème, peut-être insoluble, de la nature absolue de l’être ; qu’on nous permette toutefois de faire nos réserves sur une théorie qui ne saurait encore invoquer en sa faveur ni le témoignage des sciences positives, ni même les probabilités d’une légitime induction.

Quoi qu’il en soit, cette hypothèse est nécessaire, selon Mme Royer, si l’on veut parvenir à déterminer scientifiquement le bien absolu ou le bien de l’univers. En effet, la conscience et la sensibilité pénétrant jusque dans les couches les plus profondes du monde inorganique, il y